mardi 24 janvier 2012

Parution de "L'ombre s'étend"

L'ombre s'étend est la réponse que fit en 1923 le compositeur Jean Sibelius (1865-1957) à un journaliste qui lui demandait de définir sa sixième symphonie en une seule phrase. Trois ans plus tard est créé son denier poème, Tapiola. Le terme signifie littéralement le séjour de Tapio, le dieu sylvestre des anciens Finnois. Avec cette oeuvre, dans laquelle il fait le portrait d'une forêt mythique balayée par des vents glacials, se clôt sa carrière de compositeur. Suivront trente ans de silence.





mardi 17 janvier 2012

Dendrocopos major


Dans le petit bois perché sur la colline qui n’est qu’à quelques minutes de la maison, je marchais lentement, attentif à tous les bruits qui m’environnaient : les rencontres n’y sont pas rares. J’y vis une fois un gros écureuil brun qui marquait virilement son territoire sur un tronc, d’abord gêné par ma présence, puis frottant à nouveau sans vergogne son bas-ventre contre l’écorce en faisant frétiller son panache. J’entendis soudain résonner des coups de bec répétés. Je restai immobile un instant, puis je remontai silencieusement le sentier en direction du bruit qui avait repris. Je cherchai un arbre mort et le trouvai. Quelques secondes plus tard, un petit saut me rendit visible un très beau pic épeiche au croupion et à l’arrière du crâne d’un rouge vif. Il fit encore quelques bonds gracieux, tambourina à différents endroits, puis s’envola et disparut dans les branches nues.

17 janvier 2012

mercredi 11 janvier 2012

Notes sur le "Virginia Woolf" de V. Forrester

Malgré – ou peut-être à cause – de mes préjugés sur Viviane Forrester, j’étais impatient de lire son livre sur Virginia Woolf. J’avais traduit pour m’amuser la pièce de V. Woolf Freshwater il y a quelques années, et comparant mon travail avec celui de V. Forrester, je trouvais le mien plus fidèle au texte (j’avais passé beaucoup de temps à trouver des jeux de mots français pour traduire ceux de V. Woolf). Je savais aussi qu’elle défendait la thèse de l’influence néfaste de Léonard Woolf sur sa femme. Je m’attendais donc à une attaque en règle contre lui, en opposition avec l’image que j’en étais faite après la lecture des journaux de V. Woolf et de quelques biographies, y compris celle de son neveu Quentin Bell. Je m’attendais aussi à y trouver le typique : Personne n’a rien compris jusqu’à présent, moi je sais. De la même façon je me demandais si, en reprochant à Léonard Woolf d’avoir modelé l’image de sa femme à son idée, V. Forrester n’allait pas lui faire subir le même sort par rapport à ses propres idées. Fort de ce préjugé négatif, j’ai été d’emblée agacé par son lyrisme artificiel et pénible : « D’où sa fascination pour l’effervescence mystérieuse de l’instant de la plénitude »[1]. Mais je dois admettre que le livre m’a captivé par ses idées nouvelles nées de rapprochements inédits, en particulier concernant Léonard Woolf, l’antisémitisme de V. Woolf et sa maladie.
          Je n’ai jamais lu l’autobiographie que Léonard Woolf a écrite bien après la mort de V. Woolf. J’ai découvert par le livre de V. Forrester de nombreuses choses dont je ne soupçonnais pas l’existence, dont certaines m’ont franchement attristé. Les deux exemples les plus édifiants sont le fait que le nom de V. Woolf n’apparaît pas dans son récit de leur voyage de noce, et qu’il passe d’un paragraphe à l’autre du suicide de V. Woolf à la question de ses revenus. V. Forrester nous décrit un homme qui se sert de sa femme pour mieux « se masquer et déléguer ses propres troubles », un « romancier châtré » qui fait disparaître le jeune homme qu’il était à Ceylan, suicidaire, déprimé, sombre, qui considère toute « proximité féminine » sur un « mode sordide ». Il fera tout, selon elle, pour que l’on garde de lui l’image d’un homme solide, au tempérament stable, sérieux, protecteur, voire terre à terre. Pour la défense de Léonard Woolf je crois que nous pouvons nous poser deux questions : ses lettres desquelles le mal-être et la tristesse transpirent, ne sont-elles pas tout simplement le reflet de la sensibilité d’un tout jeune homme très cultivé, en constat d’échec et isolé du monde ? De la même façon, n’avait-il pas le droit de souhaiter maîtriser l’image qu’il voulait donner de lui-même ?
 Ces questions prennent toute leur importance à la lumière du fait que selon V. Forrester, c’est Leonard Woolf qui aurait dicté à Quentin Bell la célèbre biographie de sa tante, il aurait créé le mythe de sa folie et de sa frigidité : « [L. W.] fait accepter son point de vue sur elle par Virginia elle-même sans la convaincre, mais il a su convaincre son entourage »[2]. Les sources qu’elle nous présente confirment son propos. V. Forrester nous explique qu’il avait besoin de cette image de sa femme pour créer une sorte de « parallélisme de l’opprobe » : il est juif, elle sera folle. De la même façon qu’il avait besoin de se marier pour consolider sa position sociale, elle avait besoin de se marier pour accéder à son statut de femme. Il ne s’agissait sans doute pas d’un mariage d’amour, mais ce n’avait rien d’inhabituel dans le contexte de l’époque. « Oui, chacun d’eux pouvait apporter à l’autre le statut qui lui faisait défaut »[3].
L’échec de la nuit de noce des Woolf est un fait avéré, mais la faute à qui ? Selon V. Woolf c’était à cause de Léonard Woolf. Selon Léonard Woolf la faute en était à V. Woolf qui était frigide. On imagine mal L. Woolf, qui porte déjà ses propres tares sociales, se vanter en plus d’être impuissant. Selon V. Forrester V. Woolf n’était pas frigide, mais « rejetée », « interrompue ». C’est sans doute vrai. Pour ma part j’ai toujours pensé, à la lumière d’allusions discrètes et codées dans le journal de V. Woolf (cf. Faire les « marmottes »), qu’ils avaient une sexualité un peu différente de la norme, mais qu’ils avaient une sexualité tout de même.

          Le deuxième point absolument captivant du livre de V. Forrester tient à la mise en lumière de la violence de l’antisémitisme de V. Woolf. Ce qui, épars dans les textes, m’avait toujours paru comme une ironie un peu méchante vis à vis de la famille des Woolf apparaît finalement être une vraie haine quand tous ces éléments sont rassemblés. V. Woolf a été élevée dans une famille profondément agnostique, son antisémitisme est celui de sa classe sociale, un antisémitisme raciste que l’on découvre chez elle « récurrent », « spontané » et « désinvolte ». Elle se moque beaucoup des frères et sœurs, de la mère de L. Woolf. Jusqu’où V. Forrester a-t-elle raison quand elle dit : « Pour Léonard, l’antisémitisme même de Virginia Woolf est un atout, qui valorise et garantit son admission au sein du seul groupe qu’il reconnaisse comme sien »[4] ? Ne surinterprète-t-elle pas quand, à partir de la scène de la ligne de crasse laissée dans la baignoire par un vieux Juif dans le livre Les Années, elle imagine V.Woolf dégoûtée physiquement de partager son espace avec un Juif ? Dans tous les cas V. Woolf finit par s’émanciper intellectuellement de son antisémitisme. Mais il n’est pas illégitime de se demander jusqu’à quel point elle s’était débarrassée de ce vieux réflexe de classe. Ce qui amène à une question que je ne m’étais jamais posée : « Difficile pour Léonard de concilier la présence d’un enfant avec le rejet arrogant de son origine par sa future mère »[5], ne trouve-t-on pas là la vraie raison de la stérilité du couple Woolf ?
          La raison officielle de l’interdiction pour V. Woolf d’avoir des enfants est qu’elle était trop fragile. C’est L. Woolf qui le décide unilatéralement, qui finit par trouver le médecin qui le confirme dans son point de vue, qui fait cette démarche en secret et qui l’impose à sa femme. V. Forrester nous montre la violence de cette décision qui est pour sa femme un nouveau deuil et un nouveau déni de sa normalité. Avec l’auteur on peut se demander pourquoi personne ne comprend la profonde crise de folie qui suit cette décision. Une question nous taraude : pourquoi fut-elle consentante ? La tyrannie de L. Woolf fut insidieuse, elle était faite de surveillance, d’agencements divers pour éviter toute excitation, tout leur environnement familial et amical loue en lui l’ange gardien. Faut-il pour autant suivre l’auteur quand elle écrit : « la fragilité de V. Woolf est évidente, mais ce qui la fragilise davantage, ce qui la met en danger, c’est la mise en scène permanente et subrepticement spectaculaire, organisée autour d’elle tout au long de sa vie »[6] ?
Qui peut savoir comment il se comporterait s’il devait vivre avec une personne profondément dépressive et sujette à des crises violentes (L. Woolf n’a certes pas créé les mois d’internement de V. Woolf dans son adolescence) ? Ce qui paraît excessif et liberticide pour une personne extérieure paraît évident pour les personnes concernées.
Le roc Leonard Woolf s’effrite considérablement quand l’Allemagne occupe la France en 1940. Les Woolf savent qu’ils sont tous les deux sur les listes noires des Nazis. En cas de débarquement allemand ils seraient tous les deux déportés. Léonard propose qu’ils se suicident tous les deux en cas d’invasion. L’idée du suicide pénètre alors l’esprit de V. Woolf. V. Forrester nous montre d’une façon magistrale les étapes successives qui ont conduit V. Woolf jusqu’au suicide. L’idée devient une réalité à une période où, du fait de la guerre, elle est très seule, elle qui avait tellement besoin des yeux des autres pour exister. Les Woolf vivaient de plus en plus dans des mondes étanches, Léonard Woolf ne voit plus vraiment qu’elle va mal, qu’elle se replonge dans le passé, que les morts reviennent la hanter : sa mère, son père, son frère, L. Strachey, R. Fry. En janvier 1941 une nouvelle qu’on lui avait commandée lui est finalement retournée. Sa sœur Vanessa, qui comprend qu’elle va très mal, lui explique dans une lettre qu’elle doit se reprendre, que s’ils étaient envahis, ils ne sauraient que faire d’une « invalide impotente ». Quelques jours après elle se jette dans une rivière, des pierres plein les poches de son manteau de fourrure.
          Malgré quelques passages de psychologie de comptoir –  « De sa passion de jardinier, qui est peut-être aussi un moyen symbolique de s’ancrer dans le sol anglais »[7]  –, c’est un livre vivifiant. Je croyais bien connaître la vie de V. Woolf, mais grâce aux sources de V. Forrester auxquelles je n’ai jamais eu accès, et à sa façon d’effectuer des rapprochements impossibles à faire dans une biographie chronologique, j’ai beaucoup appris et je me suis posé des questions que je ne m’étais jamais posées. Je n’ai pas fini de méditer ce livre, ce qui est le plus grand compliment qu’on peut en faire.

 Février 2009


[1] Virginia Woolf, V. Forrester, Albin Michel, 2009, p. 13.
[2] Virginia Woolf, V. Forrester, Albin Michel, 2009, p. 15.
[3] Virginia Woolf, V. Forrester, Albin Michel, 2009, p. 31.
[4] Virginia Woolf, V. Forrester, Albin Michel, 2009, p. 80.
[5] Virginia Woolf, V. Forrester, Albin Michel, 2009, p. 75.
[6] Virginia Woolf, V. Forrester, Albin Michel, 2009, p. 43.
[7] Virginia Woolf, V. Forrester, Albin Michel, 2009, p. 82.

lundi 9 janvier 2012

Sélection bibliographique


Nouvelles
2001 : Arabesques
2007 : L’odeur des troènes
2008 : Virginie
2010 : La fille-goutte 
2010 : Promenade nocturne 
2010 : Abel Chardavoine
2012 : La forêt 
2012 : Le saut du cerf* 
2012 : La barrière* 
2013 : La fin du monde 
2013 : Le tour de garde* 
2013 : Le Veilleur
2013 : Elisabeth 
2014 : Anton Fromm 
2014 : Deux stations de métro 
2015 : Le tunnel 
2015 : La jeune femme en bleu 
2017 : La jeune fille du fast-food
2021 : Le cellier

Romans
2005 : Ad Patres
2007 : Lui sourire
2009 : L’ombre s’étend - éditions l’Harmattan, janvier 2012.
2012 : La petite réclame 
2012 : Julien
2015 : Blanche et Raymonde
2019 : Fleurs de Toussaint
2021 : Les mémoires d'un faune

* Série "der Hirschsprung"

Retour d'Italie


Crépuscule sur le lac Majeur depuis Locarno
29 décembre 2011
Salò
31 décembre 2011
Verona
31 décembre 2011