vendredi 5 octobre 2012

La barrière


Les heures s’étaient écoulées interminablement. Toute la nuit il était resté couché, enroulé dans la terre, sous le couvert d’une grande fougère. Il avait été tenu éveillé par les pas qu’il avait entendu résonner indistinctement, par les cris et les aboiements. Il était épuisé par l’attente et la tension. Mais le miracle avait eu lieu : on ne l’avait pas découvert.

Le son qu’il guettait depuis qu’il se tenait caché se devina enfin. Les rails sur le talus vibraient et sifflaient doucement. Puis, dans un fracas assourdissant, le train s’arrêta en gare du Saut du Cerf.

Le soleil n’était pas encore entièrement levé et le ciel était gris et bas. Il entendit à nouveau les chiens aboyer. Il se dit qu’on était sans doute en train de fouiller le train avant son départ. Il s’imposa de rester dans sa tanière. Il entendait des personnes s’agiter autour des wagons, des voix indistinctes qui allaient et venaient, le bruit des chaînes des molosses.

Après un sifflement aigu, le train commença à se déplacer très lentement. C’était le bon moment pour lui. Il sauta du fourré comme un écureuil, s’accrocha aux parois de bois du wagon et escalada jusqu’au toit. Il se coucha, retint sa respiration et tendit l’oreille. Il semblait ne pas avoir été vu.

Le train prit peu à peu de la vitesse. Il sentait la brise fouetter son visage. Il pouvait tout juste garder les yeux ouverts et se sentait écrasé par la fatigue. Il accrocha sa ceinture à l’armature métallique et s’endormit immédiatement ensuite. 

Lorsqu’il se réveilla, le train roulait toujours. Il avait des courbatures par tout le corps, et terriblement soif. Les cahots étaient désagréables et son corps avait besoin de silence. La hauteur du soleil dans le ciel indiquait que l’après-midi était déjà avancée. Il avait donc dormi plusieurs heures. Mais, s’il avait déjà effectué une grande distance, le train était toujours dans la forêt.

L’attente fut longue encore avant que le train ne s’arrêtât. Il se détacha et attendit le dernier moment pour sauter du toit du wagon dans un bosquet de noisetier. Il attendit que le train se fût totalement éloigné, puis sortit inspecter les lieux. Il n’y avait rien en vue. Il épousseta ses vêtements, regarda ses genoux écorchés et sortit sa boussole de sa poche. Il se glissa à travers les fourrés et s’engagea dans la forêt.

Après s’être fait un passage à travers des buissons piquants, enjambé des troncs couchés, écarté des branches de son visage, il trouva enfin ce qu’il souhaitait avec tant d’impatience. Un torrent coulait dans un fossé de terre sur des pierres plates et blanches. Il se jeta immédiatement à plat ventre et but goulûment en glissant toute sa tête dans l’eau froide.

Lorsque sa soif fut totalement apaisée, il se releva pour chercher un trou d’eau suffisamment profond pour s’y baigner. Il le trouva quelques pas plus loin. Il se déshabilla entièrement et se glissa frileusement dans l’eau glacée. Il nettoya consciencieusement ses écorchures, puis s’accroupit et s’aspergea énergiquement. Des filets d’eau froide lui coulait sur les flancs, il avait la chair de poule mais il se sentait mieux d’être propre.

Pendant qu’il s’égouttait, il épousseta ses vêtements et retira les brindilles et les feuilles qui s’étaient accrochées à ses chaussettes. Il se rhabilla et se remit en route.

Maintenant que sa soif était étanchée, son ventre gargouillait terriblement. Parti sur un coup de tête, il n’avait rien préparé de son départ. C’était encore une chance qu’il eût sa boussole avec lui. Il vit un autre bosquet de noisetiers et eut cette fois la présence d’esprit de remplir ses poches de noisettes. En attendant mieux, cela calmerait sa faim.

*

Il y avait plusieurs heures qu’il marchait ainsi lorsque la forêt cessa brusquement et qu’il vint buter contre une clôture. C’était déjà le soir, et il commençait à faire sombre. Il put se mettre un moment à découvert et avoir une idée générale du terrain. De l’autre côté du pré il y avait une vallée au fond plutôt plat et qui était cultivé. On voyait encore des restes de chaume sur le sol noir. Des bouquets d’arbres avaient poussé le long des méandres du ruisseau. Une belle grange en bois, trapue, sombre, était accolée au talus.

Il choisit l’itinéraire qui lui permettait de rester le plus souvent à couvert d’un buisson ou d’un arbre. En quelques bonds, il fut près de la porte qui n’était pas fermée. Il entra. Il y avait des bottes de foin, des sacs de grain, des outils des champs et de menuiserie. C’était une bonne cachette. Et pourtant, si on l’avait suivi sans qu’il s’en rendît compte, on le trouverait très rapidement, puisque c’était le seul bâti dans les environs. La fatigue choisit pour lui, il s’allongea dans le foin et grignota des noisettes.

Plus tard dans la soirée, il entendit des pas qui s’approchaient. Puis des cris et des sifflets. Il comprit que deux bergers rassemblaient un troupeau de vaches afin de les changer de pâture. En attendant que le bétail vint jusqu’à eux, les deux hommes se tenaient tout près de la paroi et il pouvait entendre leur conversation :
- Il paraît qu’il y en a encore un qui s’est évadé, dit une voix juvénile.
- Lui non plus ne va pas courir bien loin, répondit une voix grave et sévère.
- Non. C’est vrai. Ils les retrouvent toujours assez vite.

Après un silence, la voix la plus jeune reprit :
- A ce qu’on raconte, celui-là est déjà allé beaucoup plus loin que les autres.
- Comment le sais-tu ? demanda le vieux de sa voix grondante.
- J’ai vu des patrouilles en ville. Ils fouillent les hôtels, les caves, les greniers, tous les endroits où il pourrait se cacher.
- Il serait déjà en ville, alors ?
- En tout cas, eux le pensent.
- S’il a réussi à venir jusque là, c’est qu’il est plus malin que les autres. A mon avis, il n’y est déjà plus, ce serait trop risqué pour lui.
- Peut-être attend-il un train ?
- Tu n’en sais rien. Et ça ne te regarde pas.

Après un autre court silence, la voix jeune ajouta comme pour elle-même :
- Moi, je les comprends.
- Qui donc ? demanda la voix vieille rudement.
- Ceux qui s’évadent…
- Tais-toi donc, imbécile. Et ne répète jamais ça devant moi.

Ensuite, il n’entendit plus rien. Le bruit des cloches avait disparu. Il faisait maintenant complètement noir dans la grange.

Il passa la plus grande partie de la nuit à réfléchir à ce qui était la meilleure décision à prendre pour lui, maintenant qu’il avait ces nouveaux renseignements. Il était toujours possible que ce fût simplement un piège. Mais cela lui paraissait assez improbable. Il avait presque épuisé sa réserve d’eau. Il ne voulait pas retourner dans la forêt, mais il devait se résoudre à ce qu’on le retrouvât s’il restait jusqu’au matin dans la grange. Pourtant, le plus raisonnable était bien de contourner la ville, et d’attraper plus tard un train qui l’emporterait loin d’ici. Sa décision était donc prise.

Il se releva et s’approcha silencieusement de la grande porte. Il tendit l’oreille, la déverrouilla et l’entrouvrit. Le silence était total. La nuit était lumineuse, un beau croissant de lune diffusait une lumière pâle sur la vallée. Il se glissa à l’extérieur et colla son dos à la paroi en bois.

Quelqu’un frôla son épaule. Il sursauta et tourna vivement la tête. Il vit un jeune garçon dont les fins cheveux blonds lui tombaient sur les yeux. Il avait le visage grave et le regardait fixement. Il esquissa un demi-sourire puis posa l’index sur ses lèvres et lui fit signe de le suivre. Il souleva la toile épaisse qui couvrait le chargement d’une charrette, et lui fit une place au milieu des sacs de blés.

Il serra la main du jeune garçon après l’avoir attentivement regardé, puis il se cacha. La charrette se mit immédiatement en route.

*

Il étouffait sous sa bâche. Les cahots des roues pleines sur les pierres lui moulinaient le dos. La nuit fut très longue et sans repos. Il remarqua qu’il faisait un peu moins sombre, puis il entendit des bruits qui lui firent penser qu’il était à la barrière d’une ville. Il commença à avoir peur, mais resta parfaitement immobile. Des soldats jappèrent et frappèrent du pied. Il entendit le sifflement des lames qui traversaient les sacs de grain. Il comprit que les gardes sondaient le chargement avec la lame de leurs baïonnettes.

Le métal coupant entra dans son flanc et le perfora de part en part.

mercredi 3 octobre 2012

Nouveautés

Chers lecteurs,

J'ai fait ces derniers temps quelques modifications sur ce blog :
- J'ai ajouté une préface ;
- J'ai ajouté une table des matières ;
- J'ai mis à jour ma bibliographie.

En espérant que ces nouveautés vous agréent,

ND