mercredi 7 novembre 2012

Prague


Il y a des noms de lieux qui sonnent comme des mots magiques, qui portent en eux une charge de rêve inextinguible : Thurgovie, Carélie, Bohème-Moravie, Engadine. Longtemps je me dirai : j’ai traversé la Bohème en auto à l’automne de cette année-là pour me rendre à Prague. Prague aussi est un nom qui fait rêver, il évoque la double monarchie austro-hongroise et son aigle à deux têtes, un mélange unique de langues et de cultures, et une certaine Europe d’avant la Première Guerre. Le quartier baroque de Mála Strana, une fois balayées les scories sales et grises du régime communiste, a retrouvé ses couleurs pastel si germaniques : bleu ciel, vert d’eau, mauve, jaune. Des centaines de touristes emmaillotés dans leurs manteaux se pressent dans la cathédrale Saint-Guy battue par la tempête de neige, et sous la nef les langues se mêlent à nouveau dans un joyeux brouhaha. La langue tchèque étonne autant l’œil que l’oreille. On se pose mille questions sur tous ces accents et ces petites couronnes inconnus chez nous. Ni latin ni allemand ne servent de rien, on ne comprend rien, on est ailleurs. Des femmes en fourrures brillantes se promènent devant des vitrines luxueuses, et on ne sait plus si on est à Berlin, Milan ou Saint-Pétersbourg. Mais une chose est certaine : on est dans une capitale européenne. Tout, autour de nous, le rappelle sans cesse : la longue place Venceslas, l’imposant bâtiment du Národní muzeum, les ponts sur la Vltava, les cafés, les trams. On se recueille dans le vieux cimetière juif. On admire les synagogues néomauresques et Art nouveau construites à l’époque de l’émancipation de la communauté juive de Prague. On relit avec gravité l’histoire de cette communauté qui n’a retrouvé la totalité de ses droits politiques et culturels qu’après la chute du régime communiste.

Et on prend conscience, dans ce cœur de la Mitteleuropa, qu’on ne mesurera jamais assez la signification symbolique du suicide de S. Zweig en 1942.

Novembre 2012