Est-ce
le destin de certains auteurs d’être des écrivains du dimanche ? Non pas comme on parle de peintres du dimanche, mais parce que notre main est aimantée par
leurs livres dans la bibliothèque le dimanche en particulier, quand la
luminosité est faible, qu’il pleut peut-être et qu’une longue après-midi
d’oisiveté nous attend. Les membres les plus éminents de ce club très fermé
sont Jules Verne et Agatha Christie. On pourrait croire que c’est la célèbre
flemme du dimanche qui nous pousse à jeter notre dévolu sur eux, car ils ne
demandent pas trop d’efforts pour être lus, ils sont un peu comme les pâtes de
la littérature, tout le monde les aime, quelque soit la garniture. Avec Patrick
Modiano, c’est autre chose. Pourtant lui aussi est définitivement un écrivain du dimanche. Quelque soit le titre que
l’on choisit, on monte dans un train en marche, une ligne régulière que l’on
fréquente depuis toujours : Paris, les années 1960, une certaine topographie
poétique, des personnages si fragiles qu’un souffle suffirait à les faire
disparaître. Les romans de Modiano se lisent d’une traite. D’une seule plongée
en apnée nous nous retrouvons dans une monde calme, assourdi, où le hasard
conduit les âmes comme les poissons un courant entre deux eaux, où le temps ne
s’écoule pas de la même façon qu’en surface. Le dimanche, délestés des contraintes
du monde, un peu hagards devant tout ce vide, nous sommes le mieux à même de
respirer dans ce monde sous-marin. Il y a tout de même un peu de complaisance
de notre part à nous émouvoir si voluptueusement de cette atmosphère nostalgique.
Nous voudrions presque nous aussi, comme un personnage de Modiano, débrancher
le téléphone, faire notre valise et monter dans un taxi pour n’importe quelle
porte de Paris. Puis le roman est terminé. Nous allumons le plafonnier de la
cuisine et nous préparons le dîner. Il n’y a que dans les romans de Patrick Modiano
que les lundis n’existent pas.
Décembre 2012