tag:blogger.com,1999:blog-81307346108546956892024-03-13T08:36:00.929+01:00Nicolas Dyon Textes éparsNDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comBlogger46125tag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-35792201478578400922022-08-05T16:17:00.000+02:002022-08-05T16:17:00.048+02:00La basilique de Constantin<p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Les dimensions de la basilique de Constantin de Trèves sont si peu humaines qu’il semble naturel que son destin fût de devenir une maison de Dieu, ce qui n’est finalement qu’une légère déviation de sa vocation initiale d’<i>aula</i> romaine. Son austérité sied particulièrement à une église protestante : une boîte à chaussures de brique nue, sans contrefort, aux proportions colossales. Les grandes baies se perchent très haut dans les murs, telles les fenêtres barrées des palais espagnols, et font tomber une lumière blafarde sur le sol parfaitement carrelé de dalles de pierre claire et lisse, et sur les bancs de style scandinave, au bois plus clair que celui du plafond qui semble reléguer hors de portée des humains le seul matériau chaleureux du lieu. A une extrémité une marche grise fait office d’estrade, elle est surmontée d’une immense croix en fer ; de l’autre des caissons d’un noir mat – qui font penser à la mystérieuse pierre levée du film <i>L’odyssée de l’espace</i> – s’étagent au-dessus de l’entrée : c’est l’orgue. D’abord on admire, puis on finit par être un peu gêné par une application si poussée du style <i>loft new-yorkais</i> à un lieu de culte. </span><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;"><o:p></o:p></span></p><p><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt; text-align: justify;">Août 2022</span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;"><o:p></o:p></span></p>NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-1041710367914049382022-01-17T08:38:00.001+01:002022-01-17T08:38:55.554+01:00Le cellier<p><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt; text-align: justify;">Le garçon dormait profondément lorsqu’une première explosion l’avait réveillé en sursaut. La détonation avait été si puissante qu’il s’était dit que cette fois la bombe était tombée sur son immeuble. Puis il avait constaté que le plafond au-dessus de sa tête était intact. Alors c’est la maison voisine qui a été pulvérisée, avait-il pensé. Il s’était levé, avait pris son sac et avait descendu prudemment les escaliers.</span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Il y avait déjà plusieurs semaines qu’il dormait tout habillé, incapable de quitter sa chambre, malgré les murs éventrés et les portes arrachées de leurs gonds. L’immeuble où il vivait avec sa famille avait été touché dès la première nuit des bombardements. Cette nuit-là il avait mis un peu de temps à réaliser ce qui était en train de se passer. Ses parents étaient descendus à la cave mettre sa petite sœur en sûreté. Quand il était enfin arrivé au rez-de-chaussée la porte de la cave était restée bloquée par des gravats. Malgré les exhortations des voisins il n’avait pas voulu quitter les lieux et avait passé la nuit recroquevillé dans la poussière, sursautant à chaque explosion, pétrifié d’inquiétude.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le lendemain, aidé de plusieurs habitants de l’immeuble, ils avaient dégagé la porte et pu entrer dans la cave : ils n’y trouvèrent que des cadavres. Tous ceux qui y avaient trouvé refuge y étaient morts étouffés dans la poussière et les poutres éclatées, tout le rez-de-chaussée s’était effondré sur eux. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Il avait refusé l’hospitalité que plusieurs personnes qui connaissaient sa famille lui proposèrent. Il était remonté dans l’appartement du 2<sup>ème</sup> étage et était resté prostré plusieurs jours dans ce qui restait de sa chambre. La faim avait fini par le faire bouger. Il avait fouillé dans les placards, s’était nourri de pain rassis et de fromage. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: center;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;"> *</span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Parfois il restait immobile dans sa chambre, incapable de penser à sa situation rationnellement, parfois il marchait dans l’appartement, butant contre les morceaux de moellons, marchant sur le verre pilé dont le bruit lui faisait mal aux dents. Il regardait dehors les immeubles en ruines, les gens fouillant dans les décombres de leurs appartements soufflés, d’autres transportant leurs maigres effets dans de vieilles brouettes rouillées.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Finalement il céda et accepta sa situation. Il fit le tri de ses affaires, il apprit où il pouvait se ravitailler et trouver de l’eau, il mit de côté ce qui avait encore un peu de valeur et pouvait être échangé. Il commença aussi ses excursions à l’extérieur de la ville pour trouver un refuge au cas où l’immeuble deviendrait irrémédiablement inhabitable.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">C’est lors d’une de ces promenades qu’il trouva par hasard un ancien cellier dont il comprit immédiatement qu’il était exactement ce qu’il avait cherché. Il avait marché longtemps au hasard dans une forêt encore jeune, aux taillis touffus et avec peu d’espace pour se glisser entre les troncs lisses et flexibles. Il avait fini par trouver la sortie du bois et découvrir une grande prairie qui descendait en pente douce jusqu’au vallon. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Un promontoire légèrement concave attira son attention. L’herbe y était rase et couvrait une sorte de voûte qui était l’entrée d’un cellier enterré. L’entrée était en partie cachée par des orties, et la pente pleine de cailloux qui roulèrent sous ses pieds quand il s’y laissa glisser. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Quand sa vue se fut habituée à l’obscurité il constata que l’ancien cellier était totalement abandonné. Il n’y avait aucune trace d’occupation, même lointaine. Le sol en terre battue était en grande partie couvert de feuilles mortes. Les pierres de la voûte étaient bien sèches. Il savait qu’ici il ne risquait pas d’être découvert et qu’il pourrait s’y tenir caché un long moment. Il revint plusieurs fois pour se familiariser avec l’itinéraire et y déposer de la nourriture et de l’eau pour le jour où il aurait besoin d’y trouver refuge.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: center;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">* </span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Au début d’une nuit de bombardements très intenses, il avait compris que si cette fois-ci l’immeuble n’était pas touché, la prochaine serait sans doute la bonne. C’était le moment de trouver refuge dans le cellier abandonné. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">De nombreux immeubles brûlaient, dans la rue des familles entières erraient, hagardes, des bébés hurlaient. Les images de dévastation lui parvenaient par des flashs de lumières des bombes, autour de lui ce n’était que souffrance et dévastation. Il se faufila entre les passants, serrant sa sacoche contre lui, priant pour ne pas être touché par une chute de pierre ou l’éclat d’un obus. Le temps lui sembla long jusqu’à atteindre les limites de la ville et il se perdit dans la forêt. Il trouva finalement sa lisière, courut jusqu’à la plate-forme et se laissa glisser dans la terre et les graviers jusqu’au fond du cellier.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">D’épuisement et de peur, il tremblait de tous ses membres, le dos contre la pierre froide, ses genoux sous le menton. La grotte était parfois violemment éclairée par les explosions. Le garçon fixait l’entrée du cellier en espérant qu’aucune bombe perdue ne tomberait si loin de la ville. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Une explosion plus forte que les précédentes fit légèrement trembler la terre. Sans doute la défense aérienne avait-elle finalement touché un de leurs appareils. Il n’en ressentit ni joie ni peine particulière. Le monde entier lui était hostile, et pas seulement ces vaisseaux étrangers qui bombardaient leur ville depuis plusieurs semaines. Sa personnalité s’était comme dissoute dans le malheur et le vacarme. Il ne ressentait plus rien, ni sa sueur qui glaçait son dos, ni les pierres qui lui meurtrissaient les omoplates, ni la froideur de la pierre qui lui faisait un tombeau contre son dos.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Les explosions finirent tout de même par s’espacer. Le ronronnement des vaisseaux lui resta longtemps dans les oreilles après qu’ils eurent quitté le ciel. Même après que tout le bruit se fut éteint, il resta prostré dans la même position, comme un lapin dans son terrier. Il ne ressentait même pas le soulagement d’être encore en vie. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: center;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;"> *</span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">La nuit était encore très profonde quand il entendit des halètements près de l’entrée du cellier. Il pensa d’abord à un renard ou à un petit chien, mais les gémissements de douleur et les soupirs ne laissèrent aucun doute sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’un animal. Le garçon se recroquevilla encore plus contre le mur du cellier.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Il y eut ensuite le bruit d’un corps qui roule dans le gravier et se reçoit dans un hurlement de douleur sur le sol en terre battue. L’homme qui était tombé s’immobilisa et le silence revint.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le garçon, terrorisé, passa la nuit à se demander si l’homme était mort ou s’il avait seulement perdu connaissance. Les bombes finirent par cesser de tomber. Le silence revint. Il décela le souffle rauque de l’homme étendu près de lui : il était donc vivant. Sa terreur en fut décuplée, il était pris au piège précisément là où il croyait avoir trouvé refuge.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Au petit jour il put enfin distinguer les traits de l’intrus. Bien que tremblant à l’idée qu’il reprît conscience et le vît, il observa la grosse masse étendue au pied de l’entrée du cellier.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">L’homme portait une combinaison de pilote gris fer tachée à de nombreux endroits, marquant les plaies de taches plus sombres que les taches de sueur. Il portait encore ses bottines, une large ceinture de cuir et son arme. La peau de son visage et de ses mains, quoique souillées de poussière, étaient noire comme le charbon et presque totalement glabre. Le crâne sans un cheveu lui sembla particulièrement vulnérable.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">C’est donc à ça que ressemblent ceux qui nous tuent depuis des mois, se dit le garçon, fasciné de pouvoir enfin mettre une forme sensible sur cet ennemi mystérieux, dont il n’avait jamais vu que la carapace volante et mitraillante. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Il ne ressentait pas de haine, seulement une peur profonde teintée de curiosité. Il n’aurait pas eu l’idée de prendre le pistolet à sa ceinture pendant qu’il était encore inconscient et de le tuer.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Il était encore plongé dans son observation quand le pilote bougea et ouvrit les yeux. Leurs regards se croisèrent brièvement. L’immense surprise de se découvrir l’un l’autre était réciproque. Le garçon ne lut aucune hostilité dans ce regard, seulement de la douleur et de la détresse. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le pilote se traîna sur le sol en geignant, et quand il eut le dos contre la paroi, il soupira de soulagement. Il chercha le garçon des yeux pour mieux l’observer, mais le garçon restait recroquevillé et fuyait ce regard inintelligible. La curiosité domina finalement et lorsqu’il releva la tête, il vit que le pilote lui faisait signe qu’il avait soif.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le garçon resta un long moment indécis, puis sortit sa gourde de son sac et la lui tendit. Le pilote était trop faible encore pour boire ou même simplement attraper la gourde. Alors le garçon se leva, déboucha la gourde et s’agenouilla près du pilote. Il versa doucement l’eau entre ses lèvres entrouvertes, lui laissant le temps de déglutir entre chaque gorgée. Le pilote avait très soif, ce moment dura tout le temps qu’il fallut au garçon pour appréhender le corps du pilote. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Jamais il n’avait vu un corps pareil. Il était véritablement immense et massif, ses mains écorchées étaient les plus grandes mains qu’il n’avait jamais vues, la peau de son visage était parfaitement lisse, sans aucun défaut, il avait de longs cils noirs. La mâchoire était forte et le nez aussi. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le garçon était perturbé par cette situation où il était le plus faible et pourtant en position de force. Le pilote le remercia d’un signe de tête et referma les yeux. Le garçon se dressa, l’observa encore un petit moment puis repris sa place de l’autre côté du cellier.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: center;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;"> *</span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Il faisait maintenant grand jour. Le pilote avait le visage et le haut du corps en pleine lumière. Ses yeux étaient fermés et sa respiration régulière. Le garçon ne pouvait pas ne pas le regarder. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Depuis l’arrivée du pilote, son refuge n’était plus son refuge. C’était devenu le refuge du pilote, qui portait lui-même la responsabilité de trouver un refuge. En regardant le pilote, l’esprit du garçon rebondissait sur ces trois pointes successivement, incapable de casser cette chaîne en rompant au moins un de ses éléments.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Il se demandait s’il était possible que ce fût lui qui avait lâché la bombe qui avait détruit son immeuble et tué sa famille. Il avait beau le scruter, il ne trouvait pas la réponse à cette question. Il ne parvenait pas à faire le lien entre le déluge de feu et de métal et l’être qui était devant lui. Une seule chose était vraiment certaine : la supériorité physique écrasante du pilote. Il ne savait rien du moment où cette force physique allait se déchaîner, et comme pour toute proie, il n’avait qu’une échappatoire : la fuite.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Il y avait une part de fascination dans le regard aimanté qu’il portait sur le pilote, la fascination de la proie pour son chasseur. On sait que la mort viendra de ce corps, et on le regarde comme si on voulait se l’approprier, s’approprier sa force, se réapproprier son propre moi après le carnage.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le cou du pilote dépassait largement du col ouvert de la combinaison. Les petites mains du garçon n’auraient pas pu en faire le tour. La pomme d’Adam et une grosse veine laissaient imaginer qu’il était un être vivant malgré tout, qu’il avait des fonctions vitales à protéger. Il avait la sensation, devant son corps si grand, qu’on a quand on a trouvé le cadavre d’un cheval : il semble au sol encore plus hors de proportion que sur ses pattes. Il avait des jambes comme des troncs d’arbre, des pieds grotesques, des mains comme des battoires. Il savait d’instinct qu’il aurait pu lui rompre le cou comme à un simple lapin.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Ses blessures ne semblaient pas avoir vraiment atteint sa force. Il avait survécu au crash de son appareil. Avait-il eu le temps de s’éjecter ? La différence entre leurs deux situations s’était malgré tout réduite. Il avait été abattu.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le pilote pivota sa tête. Le garçon sursauta, mais il ne s’éveilla pas. Ses yeux étaient fermés et sa respiration régulière.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: center;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;"> *</span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">L’après-midi était déjà bien entamée lorsque le pilote se réveilla. Le garçon le regardait fixement lorsqu’il ouvrit enfin les yeux. Il sembla mettre un peu de temps pour se rappeler la situation. Il ne marqua aucune surprise à constater que le garçon était toujours en sa compagnie. Il se racla la gorge et toussa.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le garçon surmonta sa peur et s’approcha à nouveau de lui pour l’aider à boire. Le pilote exprima sa reconnaissance en clignant des yeux.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">En ayant l’intuition que le pilote avait faim, il réalisa qu’il avait lui-même très faim. Il alla chercher les gâteaux secs qu’il savait trouver dans sa sacoche. Il en mangea un pour lui-même, puis reprit sa position agenouillée près du pilote. Il approcha un gâteau de la bouche du pilote qu’il croqua de ses dents très blanches. Il se mit quelques miettes sur le menton que par réflexe le garçon fit tomber. En touchant sa peau il eut un geste de répulsion, comme quand on découvre un insecte sur son bras. Le pilote ne sembla rien remarquer et continua à mastiquer en silence. Il réclama un deuxième gâteau que le garçon l’aida à manger de la même manière.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le visage glabre à l’exception des cils et des sourcils, semblait extrêmement bizarre au garçon. Ses lèvres étaient encore plus sombres que la peau de son visage, si c’était possible. Il frissonnait un peu quand ses yeux se fixaient sur son visage au-dessus du sien. Il ne savait comment interpréter cette absence d’expression. Il avait l’impression de donner la becquée à un fauve, comme si le moindre geste pouvait déclencher une attaque foudroyante. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le pilote fit un oreiller de ses bras et, après un dernier signe de reconnaissance, se rendormit. Le garçon se dit que c’était le moment d’aller aux nouvelles et de compléter le ravitaillement.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: center;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;"> *</span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">La ville n’était plus qu’un tas de cendres fumantes. Le garçon se fraya difficilement un chemin parmi les éboulis et les cadavres qui n’avaient pas encore été ramassés de la nuit précédente. Il retrouva son immeuble éventré mais encore debout. Il fourra dans un grand sac tout ce qu’il trouva de comestible dans les décombres et quitta les lieux après avoir jeté un dernier regard à l’appartement familial.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Quand il revint au cellier il trouva le pilote assis en tailleur devant l’entrée du cellier. Il avait retiré sa combinaison et portait une sorte de de caleçon long et un maillot de corps qui moulait son torse et ses bras. Il accueillit le garçon d’un sourire timide.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le pilote se releva et lui montra la gourde pour lui faire comprendre qu’elle était vide. Le garçon eut un moment de crainte en le voyant debout, le corps du pilote était encore plus gigantesque et intimidant debout. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le garçon lui fit signe de le suivre. Ils marchèrent un moment dans un fourré assez dense avant d’atteindre une clairière au milieu de laquelle coulait un ruisseau. Le pilote s’agenouilla pour boire directement à la rivière, utilisant ses grandes mains comme une coupe, pendant que le garçon remplissait méthodiquement leurs gourdes.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le pilote se releva et fit quelques pas le long du courant avant de trouver un trou suffisamment profond pour s’y baigner. Il se déshabilla et le garçon s’assit dans l’herbe en lui tournant le dos. Au bout d’un moment de silence, il se tourna pour voir si le pilote avait terminé de se laver. Il eut le temps de le voir sortir de l’eau, la peau glabre des pieds à la tête, et brillante dans les rayons de soleil. La comparaison avec un fauve lui sembla plus pertinente que jamais. Le pilote se rhabilla et ils retournèrent au cellier.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: center;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;"> *</span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le garçon s’assit devant l’entrée du cellier, déballa le maigre ravitaillement qu’il avait pu glaner. Il ouvrit une première boîte de conserve qui dégagea une odeur un peu fade, mais comestible. Le pilote sortit du cellier et s’assit à côté de lui. Le garçon lui tendit la boîte avec une fourchette plantée dans la nourriture indéterminée et ouvrit une autre boîte pour lui-même. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Il se demanda une fois encore s’il avait raison ou bien tort d’agir comme il le faisait. Le pilote était assez fort pour s’occuper de sa survie lui-même, et même qu’il mourût, cela l’indifférait totalement. Il était maintenant immunisé contre le monde extérieur. Il n’avait même plus d’avis sur la présence et ou l’absence du pilote. Le hasard seul les avait rassemblés. Le pilote n’était pas menaçant mais était sans aucun doute dangereux. En partageant ses maigres ressources avec le pilote, le garçon assurait sa sécurité – voilà ce qu’il pensait.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">La fourchette semblait minuscule dans les mains du pilote, qui eut tôt fait d’engloutir toute la boîte, tandis que le garçon prenait son temps pour manger. Le garçon se demanda si dans ces armées-là on retournait chercher les blessés, et si le pilote n’attendait simplement pas ses camarades. Soudain le garçon eut peur d’être trouvé à ses côtés par les soldats ennemis. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le pilote tendit le bras pour attraper la gourde. Le garçon, qui n’avait pas anticipé le geste assez vif, sursauta. Le pilote comprit la peur qu’il avait provoquée et lui jeta un regard gêné. Le garçon détourna le regard. Il ne voulait rien savoir, rien avoir à faire avec ce que pensait le pilote.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Ils terminèrent le repas en silence, le garçon profondément retiré en lui-même. Il se leva ensuite pour cacher dans le cellier les reliefs de leur repas. En ressortant, il réalisa que le pilote, couché sur le côté, s’était mis à ronfler.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Il osa alors le regarder plus longuement. Le tissu de sa sous-combinaison lui collait au corps, taché à de nombreux endroits par la sueur. Sa cage thoracique s’élevait et s’abaissait lentement, sa main pendait sur le côté. Le garçon fut une fois de plus étonné du contraste entre la force colossale que ce corps dégageait et sa vulnérabilité présente. Les rayons du soleil dans les feuilles dessinaient des motifs sur son vêtement, parfois même de petits éclats de lumière faisaient briller une partie de son visage. Ses paupières se mettaient alors à cligner légèrement. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Il s’allongea à son tour. Il se demanda ce qu’il allait faire maintenant. D’ici peu le pilote serait totalement remis de ses blessures, il pouvait alors devenir menaçant. Les vêtements du pilote dégageaient une odeur désagréable. Il devait partager ses vivres avec lui. Il semblait trouver naturel que le garçon fût à son service, pourtant il ne lui devait rien. Le pilote pouvait bien maintenant se débrouiller seul. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">N’étant pas de taille à le déloger de son abri, il savait que s’il voulait être débarrassé de lui, il devait lui abandonner son abri. Et cela le révoltait.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Il en était là de ses réflexions quand il entendit une forte détonation. Une bombe était tombée tout près. Le garçon se redressa, tétanisé par la peur, le pilote se réveilla, prit le garçon sous son bras et dévala l’entrée du cellier, le garçon contre lui, protégé par son corps immense comme une carapace.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">La terre tremblait par vagues, la poussière remplissait le cellier, les pierres de la voûte semblaient être prêtes à se dessouder. Malgré la peur, l’esprit du garçon butait contre cette étreinte inattendue, son mélange de surprise, d’inconfort et de reconnaissance. A chaque détonation le pilote le serrait un peu plus contre lui qui tremblait de tous ses membres, sa large main sur son cœur lui écrasait la poitrine. Il ne parvenait pas à s’abandonner totalement à ce corps qui lui sauvait sans doute la vie.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Ils restèrent ainsi plusieurs heures. La nuit tombait quand le silence se fit enfin.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Aucun des deux ne bougeait plus. Le garçon entendait tout contre son oreille la respiration régulière du pilote. Il ne savait comment se défaire du corps du pilote. Il avait beaucoup trop chaud, était en sueur. Le pilote comprit finalement et desserra ses bras. Le garçon se leva. Il sortit sur le seuil du cellier. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Un vent léger s’était levé. Il retira sa chemise et son pantalon trempés et laissa le vent sécher lentement sa peau. Peu après il sentit la présence du pilote derrière lui. Lui aussi s’était déshabillé et se faisait sécher dans la brise. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Ils n’avaient sans doute pas connu de sensation aussi agréable depuis longtemps. Ils avaient survécu. Au loin à l’horizon les bombes continuaient à tomber et faisaient des éclats de lumière. C’était beau, c’était lointain. Le lendemain n’existait pas.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Après un moment, le pilote s’éloigna en direction d’un bosquet. Le garçon l’entendit longuement uriner. Il continuait à regarder les éclats de lumière, incapable du moindre mouvement, il s’accrochait de toutes ses forces à la sensation de sa peau qui séchait.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le pilote revint et se dirigea vers le cellier. Il l’entendait fouiller dans leurs affaires, puis il remonta à l’extérieur. Il tendit la gourde au garçon. Quand il comprit que le garçon était incapable de la prendre, le pilote prit le menton du garçon dans sa paume, desserra sa mâchoire, pencha sa tête en arrière et versa délicatement de l’eau dans sa bouche. Au bout de plusieurs gorgées, le garçon reprit réellement vie.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Ils s’assirent tous les deux pour manger. Le garçon avalait difficilement. Il mâchait les biscuits sans réussir à les avaler. Il se mit à trembler de froid. Le pilote retourna dans le cellier chercher une couverture dont il l’enroula. Il s’assit derrière lui pour le réchauffer. La fièvre finit par tomber et le garçon par s’endormir dans les bras du pilote.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: center;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">* </span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Lorsque le pilote se réveilla le lendemain, le garçon était levé et préparait ses vêtements qui avaient séché dans la nuit. Il lui fit comprendre qu’il partait à la recherche de ravitaillement. Il sortit du cellier et s’engagea dans le bois.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Des zones entières de la forêt étaient hachées menu. Il semblait qu’une taupe géante en avait soulevé des pans entiers, levant les racines, enchevêtrant les troncs, mettant les arbres sens dessus dessous. Le garçon se perdit et la matinée était déjà engagée lorsqu’il atteignit les faubourgs de la ville. Là aussi le paysage était méconnaissable : plus une seule maison n’était debout et le silence était total dans les décombres. Il comprit qu’il n’aurait servi à rien de s’engager dans les ruines – au risque de se faire agresser – alors qu’il n’y avait sans doute plus rien du tout à glaner. Il fit demi-tour et revint au cellier.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le pilote était assis en tailleur devant l’entrée. Il comprit en le voyant revenir les mains vides. Le garçon s’assit près de lui et ne dit rien, il n’avait plus assez d’énergie pour être désespéré.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le pilote se leva et alla lui chercher dans le cellier la gourde et le peu de nourriture qui leur restait. Le garçon mangea le tout sans même penser qu’il aurait pu en économiser une partie. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Une vibration dans l’air l’interrompit dans sa bouchée. Le pilote se leva et dirigea son regard vers une tache noire dans le ciel. Le garçon leva les yeux à son tour et comprit que ce que le pilote avait attendu était enfin arrivé.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">L’appareil se posa dans la clairière face à eux. Il était fait d’un métal très noir et émettait un puissant bruit de souffle. Le pilote se leva, retourna dans le cellier et en ressortit avec sa combinaison complète et son arme. Le garçon n’osait pas bouger, tétanisé par la peur de cet engin qui avait semé la mort et la destruction depuis des semaines. <o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Le pilote lui fit face, posa un moment la main sur l’épaule du garçon et lui jeta un dernier regard de reconnaissance, puis il se dirigea vers le vaisseau, une trappe s’ouvrit dans laquelle il se glissa. Il fit un signe de la main au garçon, puis la trappe se ferma et l’appareil disparut dans les nuages.<o:p></o:p></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;"><br /></span></p><p class="MsoNormal" style="font-family: Cambria, serif; margin: 0cm 0cm 10pt; text-align: justify;"><span style="font-family: Georgia, serif; font-size: 10pt;">Juin 2021</span></p>NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-609694525952240422019-03-22T17:33:00.000+01:002019-03-22T17:33:35.852+01:00Lucca
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<div class="MsoNormal" style="margin-bottom: .0001pt; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Lucca a étrangement transformé sa grande muraille de protection en une
espèce de promenade surélevée, renversant ainsi sa fonction initiale : on
ne surveille plus l’ennemi qui arriverait de l’extérieur, mais on regarde vers
l’intérieur. Les promeneurs du dimanche observent maintenant la ville entière, glissant
des yeux curieux à l’intérieur des maisons et le long des rues, marquant dans
la structure même de la ville son intérêt très fort pour elle-même. A
l’intérieur de ce cercle, il y a un autre cercle, celui de ces maisons
construites à l’intérieur même de la structure de l’ancien amphithéâtre romain,
conservant sa forme elliptique fermée, et montrant à leurs façades les anciennes
pierres, témoins bavards d’un passé révolu depuis deux millénaires, dans une
synthèse des temps parfaite, à la fois permanence et intrication des Temps.</span><span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-fareast-language: FR;"><o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="margin-bottom: .0001pt; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="margin-bottom: .0001pt; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Mars 2019</span></div>
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-7543633892681846662019-03-22T17:29:00.001+01:002019-03-22T17:29:22.667+01:00Pise
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<div class="MsoNormal" style="margin-bottom: .0001pt; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Ce qui saisit, lorsqu’on découvre l’ensemble architectural de la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Piazza del Duomo</i> de Pise, c’est
l’impression de s’être égaré sur le tapis de jeu vert émeraude d’un bébé
géant : il y a là deux cylindres parfaits, l’un en longueur, le campanile,
le second plus ramassé, le baptistère ; deux </span><span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-fareast-language: FR;">parallélépipèdes :
la cathédrale et le <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Camposanto</i>.
L’espace est vaste entre chacun de ces monuments, ils sont parfaitement
individualisés. Le mur du <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Camposanto</i>,
d’un blanc brillant, à peine décoré d’arcades simples, fait un contraste
géométrique visuellement brutal avec l’étendue de gazon et constitue une œuvre presque
abstraite, une quintessence tellement parfaite que Pasolini a choisi de filmer
devant ce décor des personnages antiques. Dans sa <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Médée</i> ce mur c’est Corinthe, symbole de l’éternelle supériorité de
la civilisation sur la barbarie. Et comme un chef d’œuvre ne peut jamais être totalement
parfait, un coup d’œil de côté vers la lente, et assez ridicule, chute de la Tour
suffit à rappeler l’éternelle faillibilité humaine.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="margin-bottom: .0001pt; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-fareast-language: FR;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="margin-bottom: .0001pt; margin-bottom: 0cm; text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-fareast-language: FR;">Février 2019</span></div>
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-10918229366849319572018-11-02T17:51:00.000+01:002018-11-02T17:51:25.076+01:00Anton Bruckner et Thomas Hardy<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;">C’est en écoutant la 8</span><sup style="font-family: Georgia;">ème</sup><span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;">
symphonie d’Anton Bruckner, jouée par le London Symphony Orchestra et dirigée
par Simon Rattle, que j’ai eu pour la première fois l’intuition que la
jouissance que j’avais de la musique de Bruckner était de la même nature que
celle que j’avais à lire les romans de Thomas Hardy.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il paraît impossible de comparer
des symphonies et des romans, qui sont des œuvres d’art de natures bien trop
différentes – et pourtant. J’aime A. Bruckner et Th. Hardy de la même manière. L’un
et l’autre font partie de ma vie intime depuis que j’ai atteint l’âge de me
former mes propres goûts. L’un et l’autre sont, pour moi, comme des paysages familiers
et aimés, des paysages qu’on peut se passer de voir pendant des années, mais
qui restent ancrés en soi, sans qu’ils représentent un poids ou une nostalgie.
Quand j’écoute une symphonie de l’un, ou que je me plonge dans un roman de
l’autre, je sais très exactement ce que je vais y trouver, ce que je vais
ressentir – et cependant ils ne sont pas lassants. Ils composent simplement
chacun une de ces nombreuses couches sédimentaires qui, entassées les unes sur
les autres, composent ma vie intérieure.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Th. Hardy perpétue, en leur
donnant un sérieux et une profondeur d’adulte, mes rêveries d’enfant :
l’univers britannique de Sherlock Holmes, la période victorienne et son
esthétique si spéciale, élégante, mystérieuse et attirante. Quand j’écoute une
symphonie d’A. Bruckner, il me semble reconnaître les mêmes chemins blancs qui
parcourent la campagne, suivant les accidents du terrain, marqué par des
générations immémoriales, baignant dans une superbe lumière d’automne, le
rythme marqué par les clous des chaussures sur les cailloux et le bout en fer
du bâton de marche.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Et si je remonte encore une couche
sédimentaire, il y a Virginia Woolf, la grande passion de mes vingt ans, qui ne
m’a jamais quittée, que je lis et relis, encore et toujours. J’ai ouvert pour la
première fois un livre de Th. Hardy parce que V. Woolf en a été une lectrice
passionnée. Elle a écrit sa notice funèbre, elle l’a lu et relu toute sa vie. La
description de sa visite chez lui en juillet 1926 dans son journal est
extrêmement émouvante. Sans doute a-t-elle, elle aussi, longuement rêvé de
cette vie rustique décrite à longueur de pages par Th. Hardy, de cette campagne et de cette forêt idéales, et de toutes les passions violentes dont
elles étaient l’écrin.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Ils avaient tous les deux le
même rapport à la nature, un rapport plein de modestie, d’amour simple. Selon
moi, leur art est à tous deux un art non intellectuel, un art qui stimule
l’imagination, qui provoque des émotions aussi simples que leur propre rapport
à la nature. Si on veut de la stimulation intellectuelle, il faut aller voir
ailleurs. Ils ne sont ni G. Mahler, ni Th. Mann. Ne leur en déplaise,
pourrait-on même dire. En cela je les considère tous deux comme des artistes
imparfaits, et les aime pour cette raison même. On retrouve dans leurs œuvres
les mêmes faiblesses de composition, les mêmes moments scolaires, les
chromatismes, les longueurs infernales, les mêmes faiblesses
d’homogénéité ; suivis de moments sublimes, exaltants,<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>éblouissants comme aucun autre artiste
dans leur domaine n’en a créés. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Tous deux ont commencé à créer
tard dans leur vie. Tous deux traînent derrière eux des tombereaux d’œuvres
ratées, oubliées, cachées. Tous deux n’ont pas été<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>reconnus de leur vivant pour ce qu’ils considéraient comme
leurs vraies œuvres : c’est comme organiste qu’A. Bruckner était adulé de
son vivant, ses symphonies étaient considérées comme ennuyeuses et sans
intérêt. Quant à Th. Hardy, c’est en tant que feuilletoniste qu’il a acquis une
renommée mondiale, ses Dynastes, interminable tragédie en vers sur les guerres
napoléoniennes – dix neuf actes, cent trente et une scènes – ont été si mal
reçus à leur parution qu’ils n’ont même plus été retraduits depuis les années
1930. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">C’est assurément divertissant de
comparer leurs natures conservatrices et frileuses, tous deux ont essayé de
reproduire un même idéal de classicisme, tous deux ont eu les plus grands comme
modèles, et pourtant tous deux n’ont progressés dans leur art qu’avec un labeur
de chaque instant – aucun des deux n’étant doué de naissance. Toutes leurs
œuvres ont été influencées par leur formation première : alors que chez A.
Bruckner l’organiste, les thèmes de se symphonies sont autant de piliers de
cathédrales, chez Th. Hardy l’architecte tous les personnages sont autant de
voix qui se superposent et créent une harmonie. Tous deux ont travaillé et
repris leurs anciennes œuvres jusqu’à un âge avancé. Et néanmoins tous deux ont
innové, ont créé des formes nouvelles, ont ouvert des portes aux artistes qui
les ont suivis (G. Mahler pour A. Bruckner, V. Woolf pour Th. Hardy) et cela
quasiment à leur insu.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Sans doute que tous les
créateurs ont des points communs, A. Bruckner et Th. Hardy ne font pas
exception. Chez les deux hommes, c’est le même foisonnement de sensibilité, une
sensibilité extraordinaire, qui va avec le même besoin extrêmement puissant de
maîtriser ce chaos des sentiments et de l’exaltation par la rigueur, le travail
et la discipline. C’est ce qui explique sans doute en partie la tonalité
laborieuse de certaines de leurs œuvres, quand le résultat n’était pas à la
hauteur de leur sensibilité extrême, leur côté laborieusement démonstratif. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Est-ce aussi qu’on entend dans
leurs œuvres un même rapport à l’amour ? Tous deux se sont enflammés – et
A. Bruckner parfaitement en vain – pour les jeunes filles, tous deux pris dans
une quête stérile de l’éternel féminin. En plus d’une condition sociale assez
proche, tous deux connaissaient aussi la même tension entre leurs parts
citadines et campagnardes, et tous deux sont absolument inséparables des lieux
qui les rattachent : Sankt Florian pour A. Bruckner, le Wessex pour Th.
Hardy. Des points communs concrets, on en trouve aussi entre eux.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Toutefois ce qui me semble la
parenté la plus évidente entre eux est qu’ils possèdent le même mode d’activation
artistique : tandis que chez Bruckner le travail de composition se
rapporte essentiellement à un processus de découverte progressive et
d’accumulation, la plupart des romans de Th. Hardy commencent par la
description d’un personnage qui marche sur une route et que l’on va accompagner
tout au long des méandres de son cruel destin.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
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<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il semble donc finalement
naturel que la jouissance des romans de Th. Hardy et de la musique d’A. Bruckner
soit de la même nature – et ce n’est faire injure ni à l’un ni à l’autre de ces
grands artistes, qui n'ont sans soute jamais entendu parler l'un de l'autre, que de le constater.<o:p></o:p></span></div>
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<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">On cherche longtemps à Venise
quelque chose qui dépayse vraiment l’œil, quelque chose qu’on n'a pas encore
l’impression d’avoir vu mille fois, tant on a accumulé sans le savoir dans sa
mémoire des clichés en quantités industrielles de cette ville trop filmée, trop
photographiée. La ville, pourtant sublime, est quasiment invisible sous le
kitsch des fantasmes à petits sous, des gondoles en plastique, des affreux
masques à plumes, des capes et des tricornes. Tout cet attirail à touristes s’est
constitué bien avant le tourisme de masse, cela fait maintenant longtemps que
cette ville à la fois attire et décline. On se demande bien comment une vie
normale peut s’épanouir dans cette ville close sur elle-même, pleine de
culs-de-sac, uniquement reliée, comme un malade à sa sonde, à un cordon ferré
et autoroutier. Adolescent, j’avais pourtant adoré découvrir, déclinés dans leur équivalent flottant, tous les
véhicules urbains familiers : bateau-de-poubelles,
bateau-ambulance, bateau-benne, bateau-taxi, bateau-bus. Ce ne sont finalement
que des éléments d’un décor qui se meurt. Je pensais prendre plaisir à
parcourir cette ville sans automobiles, mais cela finit par être lassant d’être
toujours ramenés aux mêmes ruelles encombrées par les touristes et bordées des
mêmes boutiques d’articles de souvenirs. Comme m’ont manqué les boulevards qui
poussent hardiment à découvrir la ville sur des kilomètres et des kilomètres, et
qui portent en eux la possibilité d’un ailleurs.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Quelle sensation d’emprisonnement dans toute cette
horizontalité ! Comment s’enraciner ici, où il n’y pas d’Histoire ancienne
– seulement un baroque frelaté que je déteste –, pas de vraie vie, pas d’arbres,
pas de jardins ? Un lieu toutefois a parfaitement tenu ses
promesses : le Lido et son boulevard de la plage totalement vide, son
Grand Hôtel des Bains à l’abandon, le vent polaire dans les pins parasol, le
ciel gris qui se confond avec le vert pâle et sale de la mer, le sable durci
par le froid, les installations balnéaires rouillées. Alors bien sûr, il y a
l’extraordinaire Grand Canal, les mosaïques éblouissantes de la basilique Saint-Marc,
les palais, les pontons, toute cette nostalgie et tous ces grands personnages.
J’ai aimé voir tout cela en vrai. Mais ai-je envie de les revoir ? Ce que
je suis certain, en revanche, de vouloir revoir, c’est le soleil se coucher sur
Florence, les cerisiers en fleur des collines de Bologne</span><span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;"> – et Rome </span><span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;">se
préparer au soir depuis la promenade du Janicule.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Mars 2018</span></div>
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-58505219865523670552017-11-20T09:39:00.000+01:002017-11-20T09:39:24.773+01:00Le réfugié
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<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il est contre la fenêtre, assis
bien à sa place. On devine au premier coup d’œil qu’il n’est arrivé que depuis
très peu de temps. Ses vêtements sont propres, mais de mauvaise qualité, aux couleurs
désaccordées. Il est évident que tout ce qu’il possède, il l’a sur lui. Il n’a
pas un beau visage, il n’est pas laid non plus. Dans les rues du Caire ou de
Damas, rien ne le distinguerait de tous les autres jeunes hommes oisifs,
indigents et sans espoir. Sauf que lui est parti – et est arrivé. Il regarde
les autres passagers du RER comme s’il voulait percer un mystère. Tout est
nouveau et intimidant pour lui, mais il fait bonne figure. Il farfouille dans
son petit sac à dos donné par une institution humanitaire. Il en sort une
enveloppe dont on voit qu’il la trimballe depuis des semaines, peut-être des
mois. Il en tire soigneusement une feuille toute<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>cornée. L’adresse de son oncle à Paris ? L’assurance de
commencer une nouvelle vie ? Ce trajet qui, pour la plupart des gens, est
une corvée dont on souhaite qu’elle se termine le plus vite possible, pour lui
c’est le premier moment où il est simplement comme tout le monde.<o:p></o:p></span></div>
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-65584871044614970412017-02-08T10:08:00.000+01:002017-02-08T10:08:36.542+01:00La jeune fille du fast-food<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;">J’avais moi aussi pris un peu de
temps pour choisir ma place. Je m’étais finalement décidée pour une banquette
qui faisait face à la grande baie vitrée. De ma place, je pouvais voir une
partie de l’immense parking où j’avais garé ma voiture. Je conduisais depuis
tôt le matin, j’étais fatiguée et je n’avais pas hésité quand j’avais vu au loin
l’enseigne du fast-food. J’étais certaine d’être vite servie et vite repartie.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Je m’étais frayée un chemin au
milieu des adolescents qui fréquentaient en nombre le restaurant. Ils n’avaient
aucune hostilité vis à vis de moi qui pouvait sembler un peu vieille pour ce
genre de lieu, non, simplement je n’existais pas pour eux. Ils criaient, se
chamaillaient, s’interpelaient à distance. Finalement cette agitation me
faisait du bien, même si je n’aimais pas beaucoup être secouée. Elle me
stimulait et me sortait à bon escient de la solitude concentrée dans laquelle
je me trouvais depuis toutes ces heures passées dans l’auto.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Cette partie du restaurant était
un peu à l’écart, plus calme, c’est la raison pour laquelle je m’y étais
engagée. J’avais terminé de manger mon hamburger. Sur mon plateau, il restait
la boîte en carton souillée de gras et d’un filament de salade, les boules que
formaient les trois serviettes microscopiques en papier dont je m’étais servie
pour m’essuyer les doigts. Je sirotais mon café qui était déjà tiède, mais que
je faisais durer pour ne pas déjà repartir.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle entra dans mon champ de
vision par la gauche. Immédiatement je compris qu’elle était différente. Elle
était ce qu’on appelle une jolie jeune fille. Elle se tenait debout, son
plateau qui contenait un tout petit café à la main, hésitante. Elle portait une
robe noire toute simple, elle était si jeune et si parfaite qu’on savait en la
voyant qu’elle serait jolie quelques soient les vêtements qu’elle eût sur elle.
Elle portait aux pieds des chaussures à talon qui faisaient très
« dame » et détonnaient sur elle. Sur sa poitrine était épinglé le
badge du grand magasin de vêtements pour lequel elle travaillait.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle finit par s’asseoir sur la
banquette opposée à la mienne, juste sous la baie vitrée. Elle s ‘était
assise de biais, les jambes croisées. Ses yeux étaient extrêmement clairs et
son visage si gracieux et avenant. Je sentis instinctivement que sa solitude
était immense. On lisait sa vie toute simple sur son visage et sur sa
mise : la pauvreté, le travail inespéré, comme une première marche vers la
vie normale, vers une sorte de rédemption. Le décor triste des zones
commerciales, la vie de banlieue, l’autobus bondé de 7h du matin, la patronne
tatillonne, les retours tristes le samedi soir après le travail.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle s’était tournée vers ses
voisines, un bébé accompagné de sa mère et de sa grand-mère. Elle dévorait
l’enfant du regard. Je compris pourquoi elle avait choisi cette place. Au bout
de quelques minutes, elle n’y tint plus et noua conversation avec les deux
femmes. Il y avait du bruit, et je n’entendis pas tout. Elle les aborda en demandant
l’âge du bébé. Elle aussi avait une petite fille de cet âge, leur dit-elle.
Elle leur parla aussi de son travail, expliquant qu’elle l’aimait beaucoup,
qu’elle aimait « orienter le choix » des clientes. Elle semblait
étrangement réciter les mots d’un rôle, elle était si jeune et jouait à
l’adulte.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">J’étais fascinée par elle et ne
parvenait plus à détacher les yeux d’elle. Il me semblait voir tellement clair
en elle, j’avais l’impression de suivre scène après scène l’histoire heurtée de
sa vie. La naissance dans une famille très pauvre. Le père au chômage. La mère
femme de ménage. Le père qui frappe femme et enfants de temps à autre pour se
réconcilier avec sa virilité. L’enfance triste. La vie qui possède enfin des
couleurs quand elle rencontre son premier amoureux. Sa naïveté, sa franchise,
son intégrité, sa confiance quand elle a accepté ce qu’il proposait. Puis très
vite la grossesse. La fin de l’école. La famille qui ne l’aide pas.
L’accouchement dans la solitude. Le foyer de jeunes mères. Puis ce travail.
Très vite un appartement pour elle et sa fille, rien que pour elle et sa fille.
Cette volonté opiniâtre de s’en sortir coûte que coûte. Le retour à la dignité.
<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Et finalement ce moment si
émouvant, si secret dont j’étais le témoin : ce jour où elle pouvait pour
la première fois s’extraire d’elle-même, parler d’elle sans larme, forte de
toutes ses victoires contre le mauvais sort et aller vers les autres.<o:p></o:p></span></div>
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<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">C’est toute sa vie que je lus
quand elle s’assit en face de moi – sa vie, ma vie. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: x-small;">Janvier 2017</span></div>
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-23299780658844293162016-11-14T16:51:00.000+01:002016-11-14T16:51:50.523+01:00Sainte-Cécile
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<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">La rue des Bateaux ne possède
pas de trottoirs, mais de larges bandes de gazon séparent les clôtures et les
haies de la chaussée – sur laquelle passent de toute manière que peu
d’automobiles. Les maisons, presque toutes blanches, semblent tout droit
sorties d’une bande dessinée belge des années soixante, leurs formes sont
simples, les traits sont nets, avec pour seule originalité un arrondi ou un
toit de chaume. Les pins ont poussé dans ces jardins de la classe moyenne à sa
naissance, le tapis de feuilles d’un jaune lumineux, les bosquets fanés leur
donnent un charme désuet sous le vif soleil automnal. Dans ce silence de lundi
la station balnéaire semble presque abandonnée, la plupart des volets sont
fermés, on entend la mer qui est au bout de la rue, invisible pourtant.
Qu’est-ce qui distingue pour moi à ce point Sainte-Cécile du reste des villes
de la Côte d’Opale ? Sans doute qu’il n’y a pas de front de mer, pas de
promenade parallèle à la plage, pas de parking au pied de façades
étirées ; non, à Sainte-Cécile, les façades bétonnées et le parking
qu’elles enserrent percent tout droit la dune couverte encore de ses barbelés
et de ses blockhaus. Quelques pas et toute la plage immense se déploie sous nos
yeux en même temps que la mer verte et grise. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Novembre 2016</span></div>
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-24035149114857450642016-03-31T15:24:00.000+02:002016-03-31T15:24:22.522+02:00Stockholm
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<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjbngXXzHKGBCdBQBAlh_y0F1QJJ0f4kW1u0n26i6T7xoufVV3irl2QhKDMMAw6NMT06UHCTyQ3A2EZyfxY5MWKNUZfYocr-3hlFeq_Zy0aw-s3Qv7cRHk-v2DNQwSzqm6m4qzNIQk9zoM/s1600/DSCN0090.JPG" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjbngXXzHKGBCdBQBAlh_y0F1QJJ0f4kW1u0n26i6T7xoufVV3irl2QhKDMMAw6NMT06UHCTyQ3A2EZyfxY5MWKNUZfYocr-3hlFeq_Zy0aw-s3Qv7cRHk-v2DNQwSzqm6m4qzNIQk9zoM/s320/DSCN0090.JPG" width="320" /></a></div>
<br />
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhcrDD0A914ksdLs8uz0oHTUdNRHaKGNeZhBb7UEfIUodgEkPYL08rZCObLaccNK_6lc0mTuylrERwsWQAfsDu-MQNkpoUNrmucWYnI1PW7zlGCmBj3CpvOeY0x-hc1Ltos_rJyQFfFROs/s1600/DSCN0095.JPG" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhcrDD0A914ksdLs8uz0oHTUdNRHaKGNeZhBb7UEfIUodgEkPYL08rZCObLaccNK_6lc0mTuylrERwsWQAfsDu-MQNkpoUNrmucWYnI1PW7zlGCmBj3CpvOeY0x-hc1Ltos_rJyQFfFROs/s320/DSCN0095.JPG" width="320" /></a><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 13px; text-align: justify;"><br /></span></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: left;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 13px; text-align: justify;">Je me suis rappelé Stockholm comme une ville autrefois visitée – pourtant je n’y étais jamais allé. C’étaient simplement les souvenirs inscrits couche par couche par tous les polars nordiques lus ces dernières années. La géographie de cette ville m’était déjà familière : les bras de mer, les îles qui s’élèvent de quelques mètres et dont la roche noire est saupoudrée de neige, les nombreux ponts qui les relient. Et nimbant ce paysage, la lumière du Nord, ce crépuscule interminable. Quand la nuit noire est enfin là, les réverbères s’allument tout le long des rues et des ponts autoroutiers, la ville brille alors de tous ses feux. Le terminal de ferry égrène ses horaires en grandes lettres jaunes, trois files de voitures attendent sur le quai, le sol est blanc d’une fine couche de neige. Le prochain ferry est pour </span><i style="font-family: Georgia; font-size: 13px; text-align: justify;">Turku</i><span style="font-family: Georgia; font-size: 13px; text-align: justify;">.</span></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhJQSwt69hHuGb9FfZY5pwH5-d5xuexaXpoF9WNRXZUNzpbJidq1Zjkn1XHFAVv3kgWulzDTiujF4b_T9jyBdWNt6kUBZKNI6rfHK02RdkrVHh1zRa7Ku6n_In3Xya9ofoNNyGF7C2Kvqk/s1600/DSCN0104.JPG" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><br /></a><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhJQSwt69hHuGb9FfZY5pwH5-d5xuexaXpoF9WNRXZUNzpbJidq1Zjkn1XHFAVv3kgWulzDTiujF4b_T9jyBdWNt6kUBZKNI6rfHK02RdkrVHh1zRa7Ku6n_In3Xya9ofoNNyGF7C2Kvqk/s1600/DSCN0104.JPG" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><br /></a><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhJQSwt69hHuGb9FfZY5pwH5-d5xuexaXpoF9WNRXZUNzpbJidq1Zjkn1XHFAVv3kgWulzDTiujF4b_T9jyBdWNt6kUBZKNI6rfHK02RdkrVHh1zRa7Ku6n_In3Xya9ofoNNyGF7C2Kvqk/s1600/DSCN0104.JPG" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhJQSwt69hHuGb9FfZY5pwH5-d5xuexaXpoF9WNRXZUNzpbJidq1Zjkn1XHFAVv3kgWulzDTiujF4b_T9jyBdWNt6kUBZKNI6rfHK02RdkrVHh1zRa7Ku6n_In3Xya9ofoNNyGF7C2Kvqk/s320/DSCN0104.JPG" width="320" /></a><a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEipRmZkzjKkyA-YJeDTZliHRcqTMIkZ3mwEVkGsaQDgyvYQAtHl7LuLcKWzb8TJdaGpoFXjZeeCv8DHzfj2lgCa7M5a626HGL5kEoST5kjcVzHH5A-ehF-ZhnwQK4835k_Qau8aPZclNCY/s1600/DSCN0138.JPG" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEipRmZkzjKkyA-YJeDTZliHRcqTMIkZ3mwEVkGsaQDgyvYQAtHl7LuLcKWzb8TJdaGpoFXjZeeCv8DHzfj2lgCa7M5a626HGL5kEoST5kjcVzHH5A-ehF-ZhnwQK4835k_Qau8aPZclNCY/s320/DSCN0138.JPG" width="320" /></a></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
</div>
<br />
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-27379342455236190252015-10-01T21:49:00.001+02:002015-10-01T21:49:06.350+02:00La jeune femme en bleu<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;">Soudain Isaure étouffa chez
elle. Il était tard, c’était même déjà l’heure la plus profonde et la plus
noire de la nuit. La petite lampe de bureau, seul point de lumière de la pièce
encombrée, lui donnait la migraine. Elle éclairait sa solitude d’une manière
insoutenable. Il y eut soudain trop de silence, trop de concentration, trop peu
d’espace autour d’elle.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle remit ses bottines, enfila
son manteau d’hiver, enroula son écharpe autour de son cou et dévala les huit étages.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle inspira profondément
pendant que la porte de l’immeuble claquait dans son dos. Le froid était
mordant. On ne voyait pas les étoiles – trop de réverbères dans la ville. Sans
réfléchir, elle prit à droite et descendit la rue jusqu’au fleuve. Elle
s’accouda un moment au parapet de pierre. Sur l’autre rive, les automobiles
roulaient lentement les unes derrière les autres, tous feux allumés.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Etait-ce l’espace dégagé des
eaux ? Etait-ce l’idée d’une embouchure, d’une plongée large, lente, dans
l’océan, vers l’horizon infini ? Sa poitrine s’était dégagée, elle se
sentait déjà mieux, moins empêtrée dans sa vie.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il faisait froid sur le quai,
ses pieds et ses jambes réclamaient du mouvement. Son esprit aussi, ainsi que
de cette délicieuse sensation de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">pilote
automatique nocturne</i>, se laisser glisser le long des façades noires, sur
les trottoirs déserts, le silence parfois interrompu par un véhicule roulant au
pas, dans lequel deux silhouettes aux regards inexpressifs étaient immobiles
l’une à côté de l ‘autre.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle marcha, marcha, jusqu’à
s’oublier, jusqu’à oublier où elle était. Dans cet état de quasi hypnose, elle
fut attirée comme un éphémère par l’enseigne violemment lumineuse du <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Hot Popcorn</i>.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Une femme grasse, perchée sur
une chaise haute, engoncée dans son comptoir, fronça les sourcils et lui jeta
un regard perçant. Isaure lui donna son obole et obtint en échange un petit
ticket de papier bleu qui ressemblait à un vieux ticket de cinéma des années
1940. Puis elle franchit le portique, poussa un rideau de velours très épais et
entra.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle resta d’abord immobile au
centre d’une large rosace de faïence blanche et noire, comme frappée de
stupeur. Tout le long du vaste périmètre circulaire autour d’elle, se
succédaient des vitrines de taille identique, mais aux fonds lumineux variés. A
chaque étage de cette étrange cylindre se répétait cette succession de fenêtres
dans lesquelles se découpaient des silhouettes et qui formaient comme un
alphabet de la disgrâce. Il semblait à Isaure être entrée à l’<i style="mso-bidi-font-style: normal;">intérieur</i> d’un kaléidoscope. Des<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>escaliers épousant la courbe des
balcons donnaient accès à chaque étage, et formaient une immense spirale qui se
perdait dans la nuit d’une coupole de verre.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Devant une des vitrines se
tenait un vieux couple enlacé, immobile et silencieux. Ils étaient, avec
Isaure, les seuls visiteurs des lieux. Isaure s’approcha d’eux et regarda dans
la vitrine. Sur un divan rose vif était allongée, nue sous un voile de gaze
transparent, une femme si vieille et si maigre qu’Isaure frissonna d’horreur et
recula. Elle se dirigea vers une deuxième vitrine où le corps d’une femme sans
jambes ni bras était exposé dans toute sa vulnérabilité à plat dos sur une
espèce de cheval d’arçon de cuir usé. Isaure recula à nouveau d’effroi, marcha
de plus en plus vite le long des vitrines : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">La femme-pelage… Peau-Morte… Hermaphrodite… La femme-crapeau…<o:p></o:p></i></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Pour échapper à ce musée des
horreurs, elle se rua vers l’escalier, monta à toute vitesse, tourna à perdre
haleine, comme aspirée par le sommet de la spirale.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle parvint enfin, essoufflée,
au dernier balcon circulaire au pied de la coupole. A cet ultime étage, il n’y
avait qu’une seule vitrine, une niche transparente dans laquelle se tenait une
jeune femme. Elle était assise sur un haut tabouret, les jambes presque totalement
tendues et légèrement écartées, les bras le long du corps, dans une robe bleu
très court qui moulait parfaitement son buste. Elle avait la tête baissée et
ses cheveux cachaient totalement son visage.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Isaure chercha du regard, mais
ne trouva pas la pancarte qui l’aurait informée de la disgrâce de la jeune
femme en bleu, la seule à ne pas l’avoir terrifiée au premier regard. Elle
s’approcha et frappa doucement à la vitre.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">La jeune femme en bleu leva
lentement la tête, replia ses bras, écarta ses cheveux et les glissa derrière
les oreilles. Elle regarda Isaure de ses yeux brillants et translucides comme
deux gouttes d’ambre pur. Son visage était pâle, sa lèvre inférieure lui
donnant une expression boudeuse. Elle posa ensuite ses mains sur les bords du
tabouret et eut un léger frémissement interrogatif au bas du front.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">La tête pleine de question –
Pourquoi la jeune femme en bleu était-elle là-dedans ? La retenait-on
prisonnière ? Pouvait-elle parler ? Lui expliquer ? – et
toujours sous le regard attentif de la jeune femme en bleu, Isaure continua à
chercher la disgrâce qui l’avait sans doute conduite ici. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle regarda les jambes minces,
lisses, évoquant la force qui tient, puis les os du bassin qui saillaient sous
le tissu épais, le ventre plat, les tout petits seins qui lui firent penser aux
couvercles de sucrier de sa dînette de petite fille. La jeune femme en bleu
avait la minceur de la flèche qui atteint sa cible et la perce sans hésitation.
<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Et il y avait cette jolie tête
indéchiffrable.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Isaure lui sourit et lui fit
signe de la main de la suivre. La jeune femme en bleu hocha la tête, se releva
lentement. Il y eut un délicat petit déclic, puis la vitrine s’ouvrit et la
jeune femme en bleu marcha vers Isaure, comme un petit fauve amadoué.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Isaure lui tendit la main, la
jeune femme en bleu la prit, la serra, l’approcha de ses lèvres. Elles se
regardèrent un moment, puis sans relâcher leurs mains, elles dévalèrent la
spirale, transformant dans leur vitesse la rosace en hélice. Elles sortirent du
Hot Popcorn comme l’air expulsé de l’évent de Moby Dick et ne s’arrêtèrent
qu’au fleuve.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elles s’assirent sur les marches
qui descendaient du quai, tout près de l’eau silencieuse.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Pourquoi ? demanda Isaure
en enfouissant la main glacée de la jeune femme en bleu contre son ventre.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Je suis celle qui ne peut
vivre qu’au bord du précipice.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">-<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>En quoi est-ce une disgrâce ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Les disgrâces n’existent que
dans le regard de ceux qui veulent les voir.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Isaure mordilla cette lèvre qui
ne voulait cesser de bouder, puis posa son front contre ce cou de faon.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;">Et la jeune femme en bleu ferma
les yeux sur son reflet.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;"><i>A MR</i></span></div>
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-62112853868374804262015-03-27T17:58:00.000+01:002015-03-27T17:58:26.973+01:00Le tunnel<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;">Il se pelotonnait dans l’angle
que formait la banquette et la paroi, les jambes repliées et les bras croisés.
Il savait qu’il était seul dans le vieux wagon qui craquait, le bruit
démultiplié dans ses oreilles par l’obscurité totale qui était tombée dès que
le train était entré dans le tunnel. Etait-ce une heure plus tôt ? – deux
heures ? – la fatigue et la peur lui avaient fait perdre la notion du
temps.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Plusieurs fois il lui avait
semblé voir au loin une clarté, mais elle s’éteignait subitement quand le train
allait l’atteindre. Il pensa qu’il s’agissait d’accès destinés aux techniciens
pour y effectuer l’entretien et les réparations de la voie. Il avait plusieurs
fois entendu parler de ces puits dont l’issue était soigneusement camouflée à
la surface, mais il en avait toujours mis en doute la réalité. Il connaissait
la forêt comme sa poche, s’il y avait eu des trappes, ils les auraient
forcément déjà vues, se disait-il.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le train avançait lentement – il
roulait même parfois au pas. C’était en tout cas l’impression qu’il en
avait : les freins crissaient, puis le bruit se mettait à décroître, les
vibrations cessaient. Il pouvait alors presque deviner la roche à nu de l’autre
côté de la glace sale, striée de profondes rainures et salie par la suie
accumulée par les années.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il se sentait par moment happé
par le sommeil. Mais chaque fois qu’il commençait à s’endormir, il entendait à
nouveau les cris des soldats, les aboiements des chiens et les portes des
wagons claquer une à une ; puis résonnait plusieurs fois de suite le tour
de clé qui le rendait prisonnier de sa cage en bois roulante.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il se demandait d’une manière
lancinante pourquoi il avait été placé seul. Même s’il faisait déjà presque
nuit quand il avait été embarqué, et que l’affolement ne lui avait pas permis
d’observer avec l’attention qu’il aurait fallu ce qu’il se passait autour de
lui, il savait qu’ils étaient au moins une cinquantaine de jeunes comme lui sur
le terrain vague, des garçons et des filles habillés de sombre, les cheveux en
bataille et apeurés. Il ne pouvait y avoir de wagon pour chacun : de cela,
il était au moins certain. Alors pourquoi lui ? <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Ceux qui étaient plusieurs dans
un wagon, se parlaient-ils ? Ou bien se regardaient-ils en silence, de
crainte qu’un espion ou un traître se trouvât parmi eux ? Etait-il donc
possible qu’ils eussent même peur les uns des autres ? Quant à lui, il
aurait préféré ne pas être seul – cela lui aurait au moins épargné
l’angoissante question de se demander pourquoi il était seul. Considérait-on
qu’il représentait un danger particulier ? Etait-ce un privilège ou bien
une punition spéciale qui l’attendait ? Où était le piège ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: center;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: x-small;">*</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le train continuait d’avancer.
Il avait mal à la tête et les membres ankylosés. Cette fois il n’avait plus
sommeil. La crainte et la fatigue avaient fait place à une impatience de plus
en plus pressante. Il ne supportait plus ce bruit ennuyeux et régulier, il ne
supportait plus cette obscurité glaçante, il voulait savoir où on l’emmenait.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Alors il se leva, s’étira. Il
s’accouda à la barre de la fenêtre et colla son front contre la glace pour
essayer de deviner quelque chose de la paroi du tunnel ; n’importe quel
signe humain lui aurait convenu : un gros clou planté dans la roche ou un
simple trait de peinture, n’importe quoi qui lui eût permis d’être certain que
quelqu’un était déjà passé par ici avant lui, de lui assurer un lien quelconque
avec la réalité. Mais il faisait trop sombre : on ne voyait que du noir.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il se promena alors à tâtons
dans le wagon. Huit banquettes de fines lamelles de bois se répartissaient de
part et d’autre d’un couloir central. Chaque paire était isolée de l’autre par
une cloison de bois, et chaque banquette était surmontée d’un filet métallique.
Il les explora tous : ils étaient tous rigoureusement vides. Et vide aussi
l’espace sous les banquettes.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il se trouvait au milieu du
couloir lorsque le train freina brutalement. Il perdit l’équilibre, partit en
avant et s’écrasa la face contre le sol dans un bruit mat. La poussière dans le
nez et la bouche le fit tousser. Il se releva en pensant que c’était sans doute
imprudent de sa part de faire autant de bruit. Il secoua sa pèlerine et son
pantalon, puis il resta immobile et tendit l’oreille. Le train était à l’arrêt
et le silence était total.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il resta plusieurs minutes
entièrement concentré sur son ouïe. Il ne se passa rien, pas un chuchotement,
pas un bruit de pas, rien. Epuisé par la tension qu’il s’était imposé, il
s’assit sur l’une des banquettes, les pieds dans l’allée. Il chercha à établir
la liste de toutes les raisons qui auraient conduit à arrêter ce train en
pleine voie. Son imagination chauffée à blanc par ce qu’il avait vécu au cours
des dernières heures inventa une machine à aspirer tout l’oxygène du tunnel et
qui les asphyxierait tous peu à peu. Puis il se reprit : ce genre de
machine ne pouvait pas exister.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Cet arrêt qui durait devenait
plus angoissant encore que la marche lente du train. Comme les wagons ne
communiquaient pas entre eux, en mouvement il était au moins certain que
personne ne pouvait pénétrer à l’intérieur.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Pour tromper l’attente et la
peur, il se releva et avança pas à pas dans le couloir en essayant de ne faire
grincer aucune planche. Il lui fallut à cette vitesse plusieurs minutes pour
atteindre une des portes du wagon. C’étaient toujours plusieurs minutes gagnées
sur son impatience.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il approcha lentement de la
portière, pourtant convaincu qu’il ne verrait rien de plus qu’à travers les
différentes fenêtres qu’il avait essayées. En effet, là encore on ne voyait que
du noir. Mais une planche pourrie ploya sous ses pieds, et son corps partit en
avant, son front tapa contre la vitre, par réflexe sa main s’appuya sur la
poignée en forme de tête de cygne. La porte s’entrouvrit alors de quelques
millimètres dans un craquement qui lui<span style="mso-spacerun: yes;">
</span>sembla résonner dans tout le tunnel.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le sang tapa fort à ses tempes,
la tête lui tourna, la salive lui emplit la bouche et il eut des crampes au
ventre. Il resta parfaitement immobile et s’obligea à respirer lentement et
profondément pour ralentir les battements de son cœur et reprendre ses esprits.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Puis l’évidence lui éclata dans
le cerveau : si la porte s’ouvrait, c’était qu’il avait une chance de
s’échapper. Il eut tout de même la présence d’esprit de ne pas sortir du wagon
immédiatement. Il lui sembla sage d’attendre que le train se remît en route
avant d’en sauter. Sa peur était immense, mais c’était une chance qu’il ne
pouvait pas laisser passer. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">L’attente reprit, pénible et
angoissante. Il était tendu dans une immobilité parfaite, impatient comme il ne
l’avait jamais été, l’impossibilité de mesurer le passage du temps étirant les
minutes à l’infini.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Puis soudainement le supplice
prit fin. Il entendit un craquement suivi d’une légère secousse. La machine
repartait. Il oublia sa peur, appuya sur la poignée, entrouvrit la porte, se
glissa sur le marchepied et la referma. Le train roulait si lentement qu’il lui
fut très aisé de sauter sans se faire mal. Il se coucha dans le mince couloir
entre la paroi rocheuse et le rail et se couvrit la tête de sa pèlerine. Le
train glissa lentement contre lui, puis s’éloigna, son bruit s’amenuisant
progressivement.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il attendit un long moment dans
le silence avant de se relever. Il faisait un noir de four à l’exception d’un
point rouge au loin qui s’éteignait lentement et finit par disparaître. Il
garda un doigt sur la paroi pour se guider et se mit en route dans la même
direction que le train.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><o:p><br /></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: center;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><o:p>*</o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il marcha ainsi près d’une
heure, guettant en permanence le bruit de ses pas sur la caillasse, toujours
sur le qui-vive, surtout inquiet d’entendre un train arriver devant ou derrière
lui.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Puis il lui sembla que
l’obscurité se faisait moins impénétrable. Il eut la révélation qu’il existait des
différences de qualité d’obscurité comme il y existait des différences de
qualité de lumière.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Quelques pas plus loin, la
résonnance de ses pas lui apprit que le boyau s’élargissait peu à peu. Enfin il
entra dans une immense grotte légèrement phosphorescente. Il se demanda quelle
était la source de cette clarté très faible qui lui rendait visible un plafond
haut comme dans une cathédrale. La voie unique se subdivisait en une trentaine
de voies, s’élargissant comme un éventail. Il comprit qu’il se trouvait
maintenant dans une sorte de gare de triage souterraine.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Dans une lumière pareille à celle
des toutes premières lueurs grises de l’aube, il continua à longer la paroi
contre laquelle il était plus facile de se cacher qu’en plein milieu des voies.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Après quelques centaines de
mètres il trouva une large ouverture. Il y voyait assez clair pour deviner un
escalier en colimaçon métallique à quelques mètres dans le renfoncement. Il
resta immobile et réfléchit un long moment à ce qu’il convenait de faire. Il
décida de tenter sa chance. Il s’engagea dans l’escalier.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Au bout d’une trentaine de marches
l’obscurité redevint totale. A chacun de ses pas, toute la structure métallique
résonnait, il lui semblait qu’il faisait un bruit à réveiller les morts, mais
il continua à monter.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il grimpa ainsi plus d’une
demi-heure. Puis il se cogna la tête contre une porte elle aussi métallique,
froide et poisseuse d’humidité. Il dut longtemps frotter ses mains contre elle
avant de trouver une poignée en forme de disque. Comme elle lui glissait
obstinément des mains, il utilisa son mouchoir pour mieux la serrer, et après
quelques minutes de labeur, il réussit à la faire tourner de quelques
millimètres. Il reprit espoir et travailla avec patience jusqu’à sentir qu’elle
buttait. Il tira ensuite de toutes ses forces et la porte céda d’un coup en
grinçant.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le choc fut si puissant qu’il
oublia même de s’assurer que personne ne gardait la porte. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il fit plusieurs pas dans
l’herbe haute et inspira un air vif et chargé d’iode comme il n’en avait pas
senti depuis longtemps. La prairie descendait en pente douce jusqu’à des
falaises sans doute identiques à celles de la péninsule qui s’avançait sur sa
gauche, et dont la base rocheuse était frappée par de belles vagues écumeuses.
Le ciel était couvert et bas, et donnait à la mer une couleur gris sombre qui
rehaussait le vert tendre de l’herbe et le blanc des falaises crayeuses.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il lui semblait qu’il n’avait
jamais vu un si beau paysage. Il se tourna vers la porte et la referma. Puis il
s’allongea dans les hautes herbes pour regarder les épais nuages qui filaient
au-dessus de lui.<o:p></o:p></span></div>
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<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-88136258965424970992014-09-26T17:24:00.002+02:002014-09-26T17:24:37.502+02:00Deux stations de métro<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;">Madame Roucoulé regardait à
travers la vitre une immense affiche publicitaire aux couleurs douces pour un
organisme de prêt à la consommation.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Ces crédits, c’est la peste, se
dit-elle.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Lorsque le métro était entré
dans la station, elle pensait justement à sa fille et à ses problèmes d’argent
récurrents. C’était pour Mme Roucoulé une préoccupation constante, et qui
durait depuis des années. C’était toujours le même dilemme à résoudre : ne
rien donner à son gendre qui jetait l’argent par les fenêtres, et aider à sa
fille qui, même si elle ne savait ni raisonner son mari, ni le quitter une
bonne fois pour toute, restait sa fille. Et il y avait aussi Valentine, sa
petite-fille, qui était totalement innocente des fautes de ses parents et ne
méritait pas de vivre dans la misère à cause d’eux.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il y avait foule sur le quai de
la station Opéra. Mais Mme Roucoulé était bien installée, assise depuis la
station République, son sac à main sur les genoux, les plis de sa jupe parfaitement
tirés et sa permanente toujours bien en place. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Alors qu’elle était perdue dans
ses pensées, sa voisine s’était relevée et une autre femme s’était assise à
côté d’elle. Elle approchait de la soixantaine ; elle avait les cheveux
coupés en <i style="mso-bidi-font-style: normal;">carré plongeant</i>. Son teint
orange témoignait pour elle du temps qu’elle passait au solarium. Elle avait en
outre les yeux passés au charbon de bois et les lèvres peintes d’un rouge sang
poisseux. Elle portait un pantalon fuseau noir et un corsage en simili-cuir qui
lui écrasait sa poitrine opulente et semblait prêt à exploser.<span style="mso-spacerun: yes;"> </span>Des colifichets clinquants brillaient
entre ses seins. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Bref, Mme Lempereur était <i style="mso-bidi-font-style: normal;">vendeuse de grand magasin</i>. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le métro se remit en route.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Mme Roucoulé essayait d’évaluer
la somme qu’elle pouvait verser sur le compte de sa fille : la somme
devait être assez importante pour que sa fille pût nourrir sa famille et régler
les factures les plus urgentes, mais suffisamment modeste pour ne pas attirer
la convoitise du gendre.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Excusez-moi, madame, est-ce
vous qui portez le parfum <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Mystères de
myrte </i>? demanda Mme Lempereur en se tournant vers Mme Roucoulé.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Dans sa voix nasale et haut
perchée, on sentait à la fois la personne qui ne peut s’empêcher de faire
étalage de son expérience, et celle qui ne veut pas faire comme tout le
monde : elle adresse la parole aux gens dans le métro et se moque du qu’en-dira-t-on – mais elle passe son temps à commenter l’apparence des autres dans
des jugement lapidaires, cruels et souvent injustes. C’était la voix de celle qui
ne peut s’empêcher d’essayer de créer des connivences.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Mme Roucoulé se tourna vers Mme
Lempereur et répondit sans timidité : <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Ah non, ce n’est pas moi, je
regrette…<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Vous êtes certaine ? Il
me semblait pourtant…<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Je ne me souviens pas quel
parfum je porte aujourd’hui – et elle ajouta sur le ton de la confidence et de
la fierté maternelle : ma fille collectionne les bouteilles de parfum
miniatures, alors, vous comprenez, j’en change très souvent. Mais je suis certaine que je ne
porte pas <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Mystères de myrte</i>.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Mme Lempereur retroussa son nez
et renifla longuement autour d’elle, jetant des regards suspicieux sur les
voyageurs de la rame.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Pourtant je suis ab-so-lu-ment
certaine de sentir ce parfum, annonça-t-elle.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- C’est moi qui porte ce parfum,
dit un homme timidement, levant un court instant les yeux de son journal.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Ah ! Je le savais
bien ! Je ne suis tout de même pas folle !<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Effectivement, répondit Mme
Roucoulé, je suis admirative.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- C’est un parfum d’homme, mais
il est très courant de nos jours de voir des femmes qui portent des parfums
d’homme.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Ah oui ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Vous savez, de nos jours, les
femmes brisent les codes, elles s’approprient le vestiaire de leur mari. Et,
vous savez, j’ai un nez infaillible pour les parfums. Depuis toutes ces années
que je travaille dans la mode, vous pensez ! Il faut se mettre en
permanence à la page, il faut être à l’affût de toutes les nouvelles tendances.
Je le dis souvent à mes petites collègues : je suis à moi seule toute une
histoire de la mode. Pensez donc : trente ans que je travaille dans ce
milieu ! J’en ai vu passer, je peux vous le dire. C’est ma passion. Moi,
c’est ce que je dis toujours : quand on a la chance de travailler dans sa
passion, que peut-on demander de plus à la vie ? C’est très rare, mais
j’ai cette chance, comme je dis toujours.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le métro s’arrêta à la station
Havre-Caumartin. L’homme au journal se leva, fit un signe de tête aux deux
dames et sortit.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Mais je parle, je parle,
reprit Mme Lempereur, je raconte ma vie. Mais vous, au fait, vous faites quoi
dans la vie ? <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Moi, je dirige une agence
matrimoniale, répondit Mme Roucoulé avec un lever de menton orgueilleux.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Non ? C’est pas
vrai ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Si si. J’ai une agence sur les
Champs Elysées et une autre à Vincennes.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Mais c’est
extraordinaire ! Quelle chance vous avez ! Avec internet, les sites
de rencontre, tout ça, reprit-elle à voix plus basse, ça ne vous fait pas trop
de concurrence ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Ça marche très bien, répondit
Mme Roucoulé avec un sourire satisfait et le regard projeté au loin.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Oh là là, comme j’aimerais travailler
avec vous rien qu’une journée ! Ce serait comme un rêve qui se réaliserait
pour moi. Vous savez, j’ai des références. Au travail, tout le monde dit que je
suis une marieuse. Faut dire que depuis toutes années, j’en ai présenté, des
gens. Et j’y réussis assez bien. Au fond, c’est assez simple, il suffit de
deviner de quoi les gens ont vraiment besoin pour être heureux – et moi, les
gens, je les devine très vite.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Mme Roucoulé lui sourit, mais
garda le silence. </span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le métro ralentit.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Moi, c’est Yvonne, dit Mme
Lempereur en lui tendant la main.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Jeannine, répondit Mme
Roucoulé en lui serrant la main.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Bon, j’y vais. Ça fait plaisir
de discuter comme ça, le matin !<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Tout à fait, tout à fait.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Mme Lempereur descendit du wagon
à la station Saint-Lazare et se dirigea au pas de charge vers sa sortie. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le métro se remit en marche.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Trois-cents euros, ça pourrait
être un bon compromis, se dit Mme Roucoulé en fronçant les sourcils.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Septembre 2014</span></div>
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<br /></div>
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-9698350688823914092014-09-07T11:38:00.000+02:002014-09-07T11:38:06.934+02:00Anton Fromm
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<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Votre déjeuner est
servi, M. Anton.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Anton Fromm leva les yeux vers
sa domestique et pencha la tête sur le côté. Il travaillait sans interruption
depuis plusieurs heures et s’était tenu si concentré qu’il lui fallut un long
moment pour reconnaître Marie, revenir au présent – l’heure du déjeuner, dans
son bureau – et répondre d’une voix douce :<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Très bien. Je descends. Merci,
Marie.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il attendit, immobile, qu’elle
quittât l’encadrement de la porte. Il revissa le bouchon de son stylo, retira
ses lunettes et se leva de son fauteuil. Un pincement dans les vertèbres
interrompit un instant son déplacement vers l’escalier. </span><span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;">Il reboutonna sa veste
et attrapa sa canne qu’il avait laissé appuyée contre un guéridon couvert de
livres. Il descendit lentement les marches habillées d’un épais tapis et
pénétra dans la grande salle à manger lambrissée.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il s’assit sur la chaise au haut
dossier capitonné et se demanda, peut-être pour la millième fois, pourquoi il
ne se débarrassait pas de cette pénible habitude. Cette table, où seize
convives auraient pu dîner avec aise, était manifestement trop vaste pour lui
qui prenait seul tous ses repas. Avait-il un besoin si pressant de tous ces
couverts d’argent, de toutes ces assiettes de porcelaine, de ce bouquet
splendide qui trônait dans son vase de Chine juste devant ses yeux ?
Qu’est-ce qui le retenait de prendre ses repas à l’office ? Il aurait sans
façon poussé les épluchures de légumes pour se faire une place au haut bout de
la table creusée à force d’être récurée ; les chats lui auraient couru
entre les jambes ; il aurait respiré les effluves de sauce à la viande et
de lessive ; il aurait mangé un repas solide et simple, avec sous les yeux
le gros derrière de Marie remuant le contenu de sa marmite et parlant toute seule.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Anton Fromm sourit à cette
image. Marie avait le même âge que lui, elle était ronde et rose, toujours
aussi énergique et bavarde. Depuis combien de temps était-elle à son
service ? Cinquante, soixante ans ? Il l’imagina le chasser de
l’office, furieuse de l’avoir dans les jambes, profondément choquée de la
révolution sociale que ce changement d’habitude impliquait : « Ouste,
M. Anton ! Ouste ! Ce n’est certainement pas la place d’un grand
savant comme vous que de souper à l’office ! Voyons, soyez
raisonnable ! Comment voulez-vous que je travaille si vous êtes là à me
regarder faire ? Hein ? C’est simplement impossible, M. Anton.
Simplement im-pos-sible. » Là résidait sans doute la réponse à sa question
– tout au moins une partie de la réponse : il ne changeait pas ses
habitudes par égard pour Marie. Elle avait modelé toute sa vie sur la sienne
et, pour continuer à être elle-même, elle avait besoin qu’il continuât à être
le grand homme auprès de qui se dévouer. S’il n’y avait plus de grand homme,
c’était que le sacrifice avait été inutile, et que sa vie était gâchée.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Marie donna un coup de pied dans
la porte pour l’ouvrir et entra en se dandinant dans la salle à manger. Elle
portait une assiette à chaque main, dont une couverte d’une coupole argentée,
et tenait une louche serrée entre ses dents. Elle posa le tout devant Anton
Fromm, raidi, comme tous les jours, par l’absence de délicatesse de Marie.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Je vous souhaite un bon
appétit, M. Anton, dit-elle d’une
voix forte.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le temps de trouver une question
à lui poser pour la retenir quelques minutes, elle avait déjà disparu, laissant
dans son sillage le bruit d’une porte qu’on ouvre et qu’on ferme.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Anton Fromm coupa un morceau de
terrine de lapin et le porta à sa bouche. C’était une des nombreuses
spécialités de Marie, dont heureusement il ne se lassait pas : elle lui en
servait la moitié de l’année. Il mâchait lentement, savourant sa consistance
parfaite – ni trop mouillée, ni trop sèche – et cet arrière-goût fumé qui était
sa signature et son secret de fabrication.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il reprit le fil de ses
pensées : pourquoi se trouvait-il seul dans cette grande pièce
ridiculement apprêtée à chacun de ses repas ? Par égard pour Marie, oui.
Mais ce n’était pas tout. Elle n’était qu’une domestique et il était encore
maître en son logis. Il aurait pu se faire servir sur le guéridon de la
bibliothèque (Marie se serait plaint de devoir plusieurs fois par jour <i>tout monter</i> et <i>tout descendre</i> dans l’escalier). Il aurait pu se rendre au
restaurant (mais il n’avait aucune indulgence pour les dépenses somptuaires, et
c’en était manifestement une). Il aurait pu inviter des amis ou des parents à
lui tenir compagnie (c’était la porte ouverte à des rendez-vous routiniers et
asservissants). Etait-il donc condamné à prendre seul ses repas jusqu’à la fin
des temps ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Quand il eut terminé son entrée,
il déposa devant lui la seconde assiette et souleva le couvercle. Une belle
truite était accompagnée de pommes de terre, de carottes et de navets. Il
entreprit de retirer la peau, la tête et les arêtes du poisson. Il déposa les
déchets sur l’assiette de terrine maintenant vide et mangea rapidement le repas
presque froid. Il s’essuya la bouche dans la grande serviette blanche que Marie
changeait à tous les repas et but une gorgée de vin rouge. Il s’appuya
confortablement contre le dossier et attendit.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Quelques secondes plus tard,
Marie entra dans la salle à manger avec fracas :<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Ça vous a plu, M. Anton ?
demanda-t-elle en empilant les assiettes et en y mettant les couverts sales.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- C’était très bien. Merci
Marie.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Je vous apporte le fromage.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Si vous vouliez bien me mettre
une pomme avec, ce serait parfait.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Bien, monsieur.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">La vieille domestique donna un
coup de pied dans la porte et disparut à nouveau dans un bruit de tintement. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Vais-je sortir ? se demanda
Anton Fromm.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Bien qu’il eut dépassé l’âge de
la retraite, il avait continué à exercer sa profession. Nombre de ses doctes
collègues l’avaient discrètement incité à cesser ses cours à l’Université et à
se consacrer à l’écriture de ses livres. Il savait parfaitement qu’en libérant
sa place, une machinerie extrêmement complexe et subtile allait se mettre en
marche qui permettrait à nombre d’entre eux de faire avancer leur carrière.
Mais il n’avait pas abdiqué et avait continué à enseigner. Ses collègues si
bien intentionnés étaient pour la plupart des vieilles badernes très savantes
mais sans plus aucune vivacité d’esprit. Ils se répétaient et misaient tout sur
leurs acquis. Son cerveau à lui avait besoin, pour travailler et faire avancer
la science, de la vitalité et de la stimulation de ses étudiants.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Malgré ses nombreux projets en
cours et son emploi du temps chargé, il s’autorisait une heure de promenade
tous les jours. Il regarda par la grande baie et constata que le beau temps
d’automne se maintenait. Les feuilles dans le jardin vibraient légèrement. Une
belle lumière chaude et douce enveloppait le marronnier déjà sec. Il avait
toujours aimé le mois de septembre, si plein de promesses après les oisifs et
languissants mois d’été.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Oui, se dit-il, j’irai marcher
une heure après mon café.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Marie revint avec le fromage et
la pomme qu’elle déposa sur la table.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Merci, dit-il en prenant un
couteau propre. Pensez-vous que le beau temps va se maintenir, vous qui êtes
dans les secrets des dieux ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Ah, monsieur Anton ! Dans
les secrets des dieux ! Comme vous y allez ! M’est avis que nous
sommes tranquilles jusqu’à la prochaine lune. Mais le fils du boucher, qui m’a
fait sa livraison ce matin, m’a soutenu que le vent avait déjà commencé à
tourner et qu’il pleuvrait avant samedi. Comment savoir ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Effectivement, comment savoir,
dit-il pensivement.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Vous prendrez du café ?
demanda-t-elle brusquement.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Avec plaisir.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Je vous l’apporterai quand
vous aurez terminé.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle quitta la pièce en
trottinant.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Anton Fromm mangea
méthodiquement un morceau de chaque fromage du plateau. Quand ce fut fait, il
nettoya son couteau et commença à éplucher sa pomme. La peste de mes habitudes
de vieillard, se dit-il. Il lâcha le couteau et croqua dans le fruit. Le jus
glissait le long de son poignet, mais il jouissait de la grande quantité de
chair qu’il pouvait saisir à chaque bouchée. Pourquoi était-ce meilleur ainsi,
que découpé en fines tranches comme il était accoutumé de le faire ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Marie entra avec un plateau sur
lequel était déposée une petite tasse blanche. Elle leva le sourcil droit quand
elle aperçut le trognon de pomme dans l’assiette, mais elle ne fit aucun
commentaire. Anton Fromm prit la tasse dans le creux de ses mains et regarda en
silence Marie qui débarrassait les restes de son déjeuner.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Je vais marcher jusqu’au lac.
Je serai de retour vers quinze heures.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Bien, M. Anton. Bonne
promenade.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Merci, dit-il avant de porter
la tasse à ses lèvres.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Marie quitta à nouveau la pièce,
le renvoyant au silence et à la solitude.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le café était brûlant. Il
regrettait de ne pas avoir pris avec lui un journal pour lire en attendant
qu’il refroidît. Il se dit ensuite que s’il n’avait pas pris ce café, il aurait
pu être déjà en train de se préparer à sortir. Et ce café qui ne refroidit pas,
se dit-il, agacé. Et pourtant il avait tout son temps, il n’avait aucune
obligation cet après-midi. Décidément, je ne supporte plus cette salle à
manger, se dit-il en regardant autour de lui, puisqu’il n’avait rien d’autre à
faire. Cette propreté, cette raideur, ces tableaux noircis, ces chaises, les
buissons de laurier dans le jardin. Il se fit la remarque que son jardin lui
évoquait maintenant les <i>espaces verts</i>
d’une clinique. Comment ai-je pu m’enfermer de moi-même dans ce mausolée, se
demanda-t-il.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Cette maison était le
couronnement de son ascension sociale. Il était âgé quarante ans quand il
l’avait acquise. Il était encore jeune mais déjà reconnu par ses pairs, sa
célébrité commençait même à sortir des cercles universitaires. Lorsqu’il avait
pris possession de cette grande maison blanche, massive, solide, avec son
perron et sa volée de marches, ses grandes pièces aux hauts plafonds, ses
volets verts, il avait pensé à leur petite chaumière où huit enfants
s’ébattaient dans deux pièces étroites et briquées par sa mère toute sa vie
durant. Il s’était senti fier de sa réussite et redevable envers ses parents
qui n’étaient plus là pour assister aux ultimes fruits de l’éducation qu’ils
lui avaient donnée. Même morts, ils gardent un œil sur nous, s’était-il dit en
insérant la clé dans la serrure.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Après toutes ces années à le
servir dans de petits logements miteux, Marie avait visité avec ravissement les
pièces qui allaient devenir son royaume. Grâce à Anton Fromm elle avait atteint
un nouvel échelon social, elle était passée de simple bonne à gouvernante. Mais
malgré quelques bouffées occasionnelles de vanité, elle n’avait pas changé et
était restée indécrottablement l’enfant accidentel d’une fille de ferme. A
l’instar des empereurs romains qui se laissaient susurrer les pires injures au
creux de l’oreille pendant les triomphes, il n’aurait voulu sous aucun prétexte
être séparé de Marie, et oublier d’où lui-même venait.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Les années avaient passé. Anton
Fromm avait rempli sa maison de livres, de meubles rares et d’œuvres d’art. La
maison était si imprégnée de lui, de ses goûts, de ses sentiments, de tous les
événements qu’il avait vécus ici, qu’elle était devenue un prolongement de
lui-même, une excroissance monstrueuse et rance de son propre corps. Il ne
comprenait plus ce qui avait nourri cette tumeur, quelle soif inextinguible de
remplir l’avait pris pour acquérir tous ces objets qui, maintenant qu’il en
était las, n’étaient plus que des entraves. Aujourd’hui il était un vieux
bonhomme, il se désintéressait de tous ces objets et de tout ce luxe. Il se
demandait, sans oser aller au bout de sa réflexion, comment il aurait pu s’y
prendre pour alléger son fardeau. Mais que faire de tout ce fatras ? La
seule chose à faire dans l’immédiat était de fermer la porte d’entrée derrière
lui et d’aller marcher pendant une heure.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le café était maintenant presque
froid. Il avala d’une traite le contenu de sa tasse et se leva de sa chaise.
Dans le vestibule, il enfila son manteau léger, vissa son chapeau sur sa tête,
et empoigna sa canne. Il ouvrit la porte d’entrée et l’air doux qui vint
frapper son visage lui rendit le sourire. Il referma la porte et posa la main
sur la rambarde avant de descendre les quelques marches. Lorsqu’il eut franchi
les grilles de son jardin, il se sentit soudainement plein d’entrain.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il s’arrêta un instant sur le
trottoir, le temps de laisser passer un élégant tram jaune moutarde au gros
phare rond. Le bruit métallique de la lourde machine lancée sur ses rails lui
était familier et plaisant. Ses grandes antennes qui frottaient les câbles
émettaient des étincelles. Derrière les vitres certains passagers avaient déjà
revêtu leur manteau d’automne, tandis que d’autres ne s’étaient pas encore
résolus à quitter leur tenue de vacances. Une vieille dame portait un joli
chapeau mauve. Aucun ne tourna la tête vers le vieux promeneur.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le silence revint dans la rue.
Anton Fromm prit son pas de promenade, ne se servant presque pas de sa canne.
Il n’en avait pas vraiment la nécessité, mais une mauvaise chute suivie d’une
longue convalescence lui en avait donné l’habitude. Elle lui tenait en quelque
sorte compagnie. Il longea les haies parfaitement taillées au pied desquelles
des merles soulevaient les feuilles mortes afin d’y trouver leur pitance. La
plupart des maisons de son quartier ressemblait à la sienne, avec quelques
variations dans les formes et les décorations ; elles avaient toutes été
construites à la même époque, entourées de beaux jardins soigneusement
entretenus et protégées de hautes grilles noires. Tous les enfants sont partis,
se dit-il, c’est devenu un quartier de riches vieillards.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Plusieurs pâtés de maison plus
loin, la rue se terminait à un grand carrefour où se croisaient piétons, autos,
taxis et trams dans un fracas continu, mais dans un ordre parfait. C’est cela,
la civilisation, se dit-il en attendant son tour de traverser, l’organisation
du chaos en flux, tirer profit le plus possible de la force vitale, mais la
canaliser. <i>Canaliser</i>, l’expression
était particulièrement juste. Les canaux et les polders de Hollande étaient une
très bonne allégorie de la civilisation, pensait-il. Depuis son apparition,
l’Homme s’était rendu peu à peu maître de ses instincts et de la nature. Ce
carrefour en était un achèvement. Jusqu’à quelle prochaine révolution ? se
demanda-t-il en s’engageant sur le passage clouté.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le trottoir du boulevard était
assez large pour que tous les passants pussent se déplacer chacun à son rythme
et sans se bousculer. Anton Fromm s’arrêtait de temps à autre devant de belles
vitrines et en admirait l’opulence arrangée avec soin sur les présentoirs, les
tablettes couvertes de tissus brillants, les mannequins plus vrais que nature.
En vieillissant il avait perdu cette pulsion d’acheter pour le seul plaisir de
la possession. Il n’avait pas besoin de posséder un bel objet pour le trouver
beau et avoir plaisir à le contempler. D’ailleurs, avait-il remarqué, certains
objets – montres, portefeuilles, vêtements – n’étaient jamais aussi beaux que
dans les vitrines, sous un éclairage approprié et accompagnés de leurs
semblables.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Même si la nostalgie de la vie à
la campagne ne lui était pas inconnue – mais elle était inséparable d’émotions
familiales à jamais disparues – il savait qu’il ne pouvait pas se passer de
cette vie urbaine au milieu de laquelle il se frayait un chemin. Les livreurs
qui encombraient le trottoir de leurs colis volumineux ; les hommes
d’affaire qui marchaient nerveusement, leur serviette de cuir sous le
bras ; les élégantes qui commençaient tout juste leur journée ; les
mères de famille au regard anxieux, un enfant pendu à chaque main ; les
traînards et les hors-catégorie de toutes sortes. Dans cette foule, il ne se
sentait pas seul, il se sentait indifférencié, participant aux flux anonymes de
la ville.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Parvenue au bout du boulevard,
la circulation se jetait sur une grande place de forme ovale qui s’ouvrait sur
la rive du lac. Ici s’arrêtaient et partaient tous les trams de la ville, comme
un cœur qui aspire, repousse et fait circuler le sang dans tout l’organisme. Au
centre de la place, serrée dans l’enchevêtrement des rails, la gare de
terminus, elle aussi ovale et toute en verre, était couverte par un toit plat
en béton, lui aussi ovale, qui s’avançait de quelques mètres au-dessus des
passagers pour les protéger des intempéries. Presque tous les habitants de la
ville passaient par ici au moins une fois par jour. Anton Fromm aimait y faire
un arrêt pour lire les titres de la presse internationale au kiosque à
journaux.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il n’acheta aucun journal. Il
traversa lentement la foule en transit et s’engagea sur la promenade qui
faisait le tour du lac. La vue était bien dégagée sur le massif qui étincelait
au loin sous le soleil d’automne. La neige sur les sommets prenait une couleur
dorée et les montagnes, bien détachées les unes des autres, étaient d’un bleu
qui tirait au violet.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">L’eau du lac était sans cesse en
mouvement, agité de vaguelettes qui s’allumaient un instant avant de
s’éteindre. Ici et là on voyait de petites barques de pêcheurs vertes. Une fine
embarcation fendait rapidement la surface, poussée par les avirons d’une
demi-douzaine de jeunes hommes aux bras nus. Un élégant vapeur qui assurait la
liaison entre les deux extrémités du lac s’apprêtait à accoster et fit retentir
sa corne.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Comment se lasser de ce lac qui
est toujours si différent, se dit-il. La promenade, séparée de la circulation
automobile par les villas, était le point de rendez-vous des nurses qui
sortaient des nuées d’enfants de tous les âges, et bavardaient entre elles,
assises les jambes repliées sous elles, sur les pelouses, avec toujours une œil
attentif sur les apprentis aventuriers. Les nombreux bancs étaient, eux, le
territoire des vieilles dames qui s’y retrouvaient dès le matin pour tricoter,
prendre le soleil et bavarder. Anton Fromm les ignora avec orgueil lorsqu’il
passa devant elles. Il n’avait rien à voir avec ce genre de personnes et tenait
à le montrer.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Anton Fromm marcha au bord du
lac sur près d’un kilomètre. Il avait l’esprit uniquement occupé à observer ce
qu’il y avait autour de lui. Son regard glissait des montagnes au lac,
s’attardait un instant sur un petit voilier phosphorescent, puis se dirigeait
vers les jardins des villas, où les parterres de fleurs faisaient des taches
multicolores sur les étendues de gazon parfaitement tondu. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Plus on s’éloignait du centre,
moins on trouvait de passants. Il était maintenant presque seul sur l’allée de
gravier. Il alla jusqu’à la jetée qui était ordinairement le point le plus
éloigné de ses promenades quotidiennes, fit quelques pas sur les planches,
regarda les poissons qui se déplaçaient lentement entre les pilotis, jeta un
dernier regard sur les montagnes et fit demi-tour.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<!--EndFragment-->NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-51797749469375239432014-02-28T11:00:00.001+01:002014-02-28T11:00:21.794+01:00Elisabeth
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<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elisabeth était assise le dos
bien droit sur la banquette de velours rouge. Un gros roman à couverture
épaisse était posé sur ses genoux ; elle y appuyait ses mains croisées.
Au-dessus de sa tête, dans le filet métallique, son père avait rangé une valise
encombrante et un sac de cuir souple. Elle portait l’uniforme qu’elle
affectionnait depuis qu’elle était étudiante – elle l’avait vu porté par les
femmes professeurs qu’elle admirait et à qui elle aspirait de ressembler :
une jupe longue et une veste en tweed, une chemise à col rond et une fine
cravate sombre. Avec l’ongle de son pouce droit, elle jouait à faire glisser
sur son auriculaire gauche la chevalière en or qu’elle avait reçue en cadeau
pour ses vingt ans. Quelques mois seulement avaient passé depuis son
anniversaire, pourtant elle se sentait déjà très différente de la petite fille
qu’elle était encore l’hiver précédent.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Après avoir quitté les derniers
faubourgs, le train prit de la vitesse. Les embranchements le faisaient onduler
sur les rails, si bien que le front d’Elisabeth vint plusieurs fois cogner
contre la vitre. Quand il entra dans un tunnel, son propre visage lui apparut
brusquement. Elle se regarda avec intensité : était-elle belle ?
Cette question était difficile pour elle. Il y avait ceux qui la trouvaient
belle, et ceux qui la trouvaient laide. Personne ne lui avait jamais dit
qu’elle avait un visage quelconque, mais ce n’était guère un réconfort. Elle
avait un beau front, pur et blanc comme dans les livres. Elle attachait
toujours ses cheveux clairs de telle façon qu’on le vît. Les sourcils étaient
clairs, eux aussi, et droits. Ses yeux étaient un peu tristes, la pupille vert
pâle, sans caractère. Le nez était la copie conforme de celui de son père,
droit et fier. Les lèvres étaient fines comme celles d’un garçon ; elle
enviait les lèvres pulpeuses et rouges de ses amies. Le menton était banal, ce
qui atténuait l’effet désastreux des mâchoires trop carrées. Elle se demanda ce
qu’un étranger lisait sur son visage quand il la voyait pour la première fois.
Le train sortit du tunnel, son reflet laissa la place à un vaste alpage piqueté
de chalets.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Délaissant ce paysage qu’elle
connaissait trop bien, son attitude se relâcha. Elle se laissa tomber sur le
dossier moelleux. Elle jeta un regard rapide sur la seule autre personne qui
occupait le compartiment avec elle. C’était une vieille dame boulotte, assise
sur un fauteuil de la banquette opposée à celle d’Elisabeth, près de la porte
vitrée qui donnait sur le couloir. Ses joues étaient duveteuses et tombantes.
Ses cheveux faisaient d’amusantes bouclettes sur le haut de son crâne. Elle
était si serrée dans son tailleur qu’Elisabeth se demanda si ses boutons n’allaient
pas sauter quand elle se lèverait. Ce qui expliquait pourquoi elle semblait si
attentive à ne faire aucun mouvement. Elle ne faisait d’ailleurs rien du tout
et regardait droit devant elle. Elisabeth, continuant son examen, s’interrogea
sur les raisons mystérieuses qui la retenait de sortir son tricot qui dépassait
du panier posé à ses pieds. Mais elle n’eut pas le temps de réfléchir plus
avant à cette question, son attention fut détournée par le passage d’un
contrôleur corpulent, coiffé d’un képi, de l’autre côté de la vitre. Soudain
inquiète, elle s’assura de la présence de son billet dans son cartable :
il y était. Elle soupira doucement et regarda à nouveau la paysage qui défilait
derrière la glace.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Ces cimes blanches et pointues
qui se propulsaient vers un ciel clair et transparent, elle les connaissait par
cœur. Elle les avait toutes escaladées au moins une fois. Elle pensa avec dépit
qu’elle se trouvait encore un peu à la maison. Depuis que son père avait donné
son accord à ce qu’elle continuât ses études d’histoire et de littérature à
l’Université Fédérale, où les cours étaient incomparablement meilleurs que dans
sa petite faculté de province – c’était cela ce qui avait décidé son père – elle
attendait avec impatience le moment où elle allait enfin ressentir la rupture
nette du lien avec sa famille. Maintenant qu’elle était dans ce train, qu’elle
avait dit adieu à son père, à sa mère, à ses frères, elle guettait dans les
moindres replis de son âme le moment où elle entendrait le petit craquement qui
signalerait qu’elle était enfin libre. Les montagnes familières gâchaient
décidément tout. Il fallait encore attendre.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">La mine boudeuse, elle ouvrit
son roman à la première page, espérant qu’en lisant le temps passerait plus
vite. Lorsqu’elle parvint à la fin du premier paragraphe, elle prit conscience
qu’elle n’avait rien compris à ce qu’elle avait lu. Les mots s’étaient imprimés
sur sa rétine, mais ils étaient absolument vides de sens. Elle relut plus
lentement, s’obligeant à se concentrer, sans plus de résultat. Elle referma le
livre d’un coup sec en soupirant. Elle n’avait aucune envie de lire alors
que tant de pensées assaillaient son cerveau sans relâche depuis que le train
avait quitté la gare.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle se demandait, à la fois
anxieuse et impatiente, à quoi allait ressembler sa nouvelle vie. Est-ce que la grande ville allait lui tendre les bras pour l’accueillir en son sein ? Ou
bien allait-elle la bousculer sans ménagement et la réduire à un fétu de paille
dans le vent ? Ses études, qui étaient pourtant la raison principale de
son départ, passaient au second plan dans son esprit. Elle se faisait mille
imaginations sur les personnes passionnantes qu’elle allait rencontrer, les
rues qui allaient devenir son nouveau paysage quotidien, toutes ces habitudes
qu’il allait lui falloir inventer pour s’installer confortablement dans sa
nouvelle vie. Elle avait confiance en elle et craignait moins la solitude que
le contact avec des étrangers qui possédaient des codes qu’elle ne maîtrisait
pas encore. Elle s’attendait à trouver la liberté exaltante, et soupirait
d’aise de ne plus avoir à suivre le cérémonial ennuyeux de la vie familiale et
bourgeoise. Elle n’aurait plus à s’adapter à la vie des autres, mais à créer
ses propres règles de vie. On allait voir de quoi elle était capable.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Etre à la fois la première de sa
famille à réussir le concours d’entrée de la prestigieuse Université et la
première femme à prolonger aussi loin ses études la remplissait d’orgueil. Elle
avait de grands projets pour elle-même et une soif de savoir inextinguible.
Malgré ses résultats brillants et ses vastes lectures, elle savait par avance
que sa carrière atteindrait rapidement son point culminant si elle ne partait
pas. Avec l’assurance que son père la soutiendrait tant qu’elle réussirait –
parce qu’il avait la plus grande admiration pour les facultés de sa fille, sans
aucune considération de sexe – elle savait qu’elle possédait toutes les cartes
pour devenir ce qu’elle voulait ardemment être : une grande femme – comme
on parle des grands hommes. Elle ne voulait pas encore penser – pas maintenant
que tout ne faisait que commencer – aux années de labeur qu’il lui faudrait
supporter pour se hisser jusqu’à ce firmament de l’intelligence. De cela non
plus, elle n’avait pas peur. C’était son domaine réservé depuis toujours, et
cela ne dépendait que de sa propre volonté.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Sa voisine se décida enfin à
sortir son tricot. Elisabeth retint sa respiration en l’observant du coin de
l’œil, mais le tissu et les boutons, quoique tendus à l’extrême, résistèrent.
La vieille dame avait le visage rouge quand elle se redressa. Elle se remit
rapidement de son effort et plaça savamment les aiguilles entre ses doigts
boudinés. Elisabeth observa un long moment le mouvement rapide et régulier qui
semblait sécréter de lui-même de la matière. D’abord attendrie par cette
activité qui lui évoquait le calme tendre et serein d’une grand-mère, elle
décida ensuite que jamais de sa vie elle ne tricoterait. Elle ne se demanda pas
d’où pouvait surgir un refus si véhément. Elle n’avait simplement jamais eu de
don pour les activités manuelles qu’on imposait aux petites filles de son
milieu, cela la rendait vite impatiente, elle en avait pris son parti et ne
cherchait pas plus loin.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le souvenir des après-midi
d’enfance, seule avec sa nurse dans la grande salle de jeu silencieuse, lui était
pénible. Elle était révoltée par l’interdiction qui lui était faite de courir
dehors. Elle était sans cesse sous la surveillance d’une de ces jeunes filles
qui s’étaient succédées à la maison, toutes les mêmes, gentilles, strictes,
fades. Elle n’avait gardé en mémoire le visage d’aucune. Elle n’en avait aimé
aucune en particulier. En revanche, elle se souvenait très bien de ses regards
désespérés par la fenêtre, ses frères s’égaillant librement sur la grande
pelouse, libres de jouer à tous ces jeux qui lui étaient interdits. Jamais elle
n’avait pu se défaire totalement de cette sensation d’emprisonnement injuste,
et gardait toujours au fond d’elle une petite rancœur contre ses frères
inconscients de leurs privilèges, et qui refusaient toujours qu’elle les
accompagnât dans leurs aventures.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le temps avait passé et ses
relations avec ses frères avaient profondément changé. Ils menaient tous les
trois leur vie d’homme adulte ; elle ne les enviait plus. En outre, elle
n’aimait pas penser à son enfance, la lutte pour s’en arracher avait été trop
longue et trop douloureuse. Partir de la maison familiale était une étape de
plus sur le chemin de la liberté, une étape décisive, espérait-elle. Elle ne se
sentait aucune nostalgie pour la vie qu’elle quittait. Elle avait aimé les deux
années universitaires précédentes, mais elle savait qu’elle méritait mieux, que
son horizon était encore trop étroit. Et ceux qui ne comprendraient pas ça,
tant pis pour eux.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Malgré la distance qui
s’allongeait irrémédiablement, le paysage ne changeait guère. Les montagnes
étaient à peine moins élevées. La voie de chemin de fer dominait un torrent
vigoureux et brillant. Les noms en lettres majuscules des petites gares que le
train traversait à toute vitesse lui rappelaient qu’elles pouvaient toutes
potentiellement être la destination d’une excursion d’une journée. Elle ouvrit à
nouveau son roman, mais c’était pour s’occuper les mains, elle n’essaya même
pas de commencer à lire. Elle le laissa ouvert sur ses genoux et tourna la
tête vers la vitre. Brusquement elle se sentit accablée par sa solitude et
angoissée par ce qui l’attendait. Elle pâlit et sentit un poids sur sa
poitrine. Elle avala sa salive et ferma les yeux. Elle essaya de se calmer en
contrôlant sa respiration. Elle ouvrit à nouveau les yeux sur sa voisine qui
était concentrée sur son ouvrage. Sans en comprendre la raison, elle se sentit
mieux de simplement la regarder. Quel étrange pouvoir ont les êtres humains sur
les autres êtres humains, se dit-elle. La bouffée d’angoisse avait disparu.
Elle n’avait duré qu’un instant.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle releva la tête avec
orgueil. Toute sa détermination à affronter le monde se réveilla. Elle regarda
à nouveau les montagnes avec la conviction que son cerveau était comme une pâte
à laquelle elle devait donner une forme afin de le rendre capable d’obtenir ce
que sa personnalité estimait être son dû. Tous – élèves, professeurs, camarades
et amis – allaient se prosterner d’admiration devant elle, partout on allait
l’accueillir comme un miracle tombé du ciel, étonné d’avoir pu vivre si longtemps
sans la connaître. Elle laisserait quelque chose d’elle à chacun de ses
passages, offrant comme un privilège quelques instants de compagnie ou quelques
mots brillants. Elle se gargarisait de tous les sentiments qu’elle allait faire
naître. Elle s’aimait tellement et s’estimait tellement chanceuse d’être
elle-même, qu’une larme d’émotion mouilla son œil.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">« Votre billet,
mademoiselle ! » tonna une voix sévère dans son oreille gauche.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elisabeth sursauta, tourna la
tête et leva les yeux vers le contrôleur ventru. Il la regardait en fronçant
les sourcils, tendant impatiemment sa main droite vers elle. Elle se baissa
vivement et fouilla frénétiquement dans son sac, si bien qu’elle mit un temps
qui lui parut infini avant de trouver son billet. Mais elle le trouva, et lui
tendit avec un sourire crispé qu’il ne lui rendit pas. Elle tremblait de tous
ses membres, paniquée à l’idée de ne pas être en règle et de devoir suivre
l’affreux bonhomme dans le petit bureau près des toilettes qui lui avait semblé
sinistre lorsqu’elle était passée devant.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le contrôleur étudia son billet
avec soin, lisant chaque ligne attentivement – elle pouvait suivre le mouvement
de ses yeux. Puis il lui tendit le morceau de carton beige en jetant un regard
perçant sur elle. Elle ne put l’affronter et baissa les yeux.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">« Merci, mademoiselle. Je
vous souhaite un bon voyage » dit-il sèchement. Puis il sortit du
compartiment.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elisabeth expira profondément.
Elle se sentait châtiée de son extraordinaire orgueil.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Pas commode, n’est-ce
pas ? dit la vieille dame, une fois que la porte fut fermée.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle souriait à demi et
regardait Elisabeth avec tant de tendresse qu’elle faillit bien se mettre à
pleurer pour de bon. </span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Après un court instant, la vieille dame reprit :<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Il était sans doute en colère
que vous n’ayez pas fait attention à lui quand il est entré. Vous étiez sans
doute perdue dans vos pensées ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elisabeth sourit timidement et
hocha la tête.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Je me doutais bien que vous ne
pensiez pas à mal. Une si gentille petiote, je me disais. Elle est simplement
préoccupée par ses états d’âme. C’est si sensible, une jeune fille. Moi aussi,
j’étais comme vous quand j’avais votre âge.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elisabeth repoussa le plus loin
possible l’idée de ressembler un jour à cette grosse dame aux bajoues roses.
Mais encore toute apeurée par cette idée, elle lui répondit : <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- J’ai eu tellement peur !<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- C’est bien naturel. Tout est
fini, maintenant. N’y pensez plus.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elisabeth lui sourit cette fois
franchement et ouvrit son roman afin de se donner une contenance et de couper toute
velléité de conversation de la gentille grand-mère. Elle ne pouvait pas
gaspiller cet instant peut-être unique dans sa vie en bavardant avec sa voisine
de compartiment.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle fit semblant de lire
pendant quelques minutes. Puis, rassurée par le cliquetis régulier des
aiguilles, elle releva la tête et détourna les yeux de son livre. Les montagnes
familières avaient laissé la place à des collines peu élevées dont les sommets
étaient couverts de bois compacts de pins d’un vert sombre et profond. Leurs pentes,
assez raides, vert tendre et fleuries, étaient traversées de multiples sentiers
façonnés par le bétail. Elle avait franchi une frontière. Elle avait quitté la
montagne dont elle était née pour un paysage moins violent dans ses contrastes
– plus civilisé en somme. Elle avait souvent pensé que là où les éléments se
faisaient moins sévères, une forme de vie plus élevée était possible. Puis elle
pensa aux destins de ces hommes héroïques et aux vertus hors du commun qui
avaient affronté la haute montagne ou la haute mer – ce n’était pas un hasard
pour elle si on utilisait le même qualificatif – et parvint à la conclusion que
son idée était stupide. C’était une nouvelle victoire dans la bataille acharnée
qu’elle menait depuis quelques temps contre ses propres préjugés.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Une vache aux longues cornes
effilées leva la tête au passage du train.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elles avaient passé toute
l’après-midi à bavarder, à demi étendues sur un grand tapis aux motifs
orientaux bleus, rouges et jaunes. Sur le plateau rond en métal brillant, il y
avait une théière, deux tasses et leurs soucoupes, deux petites cuillères, un
petit pot de lait et une assiette de biscuits. Elles étaient dans la chambre
d’Anna, la porte était fermée, elles étaient à l’abri de toute oreille
indiscrète. De quoi avaient-elles parlé ? Elisabeth ne se souvenait plus
des détails. Sans avaient-elles commencé par la littérature ou la musique.
Puis, elle ne savait par quel chemin, elle avaient glissé vers les sentiments
et les émotions, dans un bavardage intime sans queue ni tête, le front par
moments rouge de dévoiler des secrets jamais dits, jamais même formulés avec
des mots. Anna, sa meilleure amie, qu’elle pensait si bien connaître, avec qui
elle passait tant de temps, l’avait pour la première fois contredite cette après-midi-là.
Elisabeth s’était demandée d’où Anna pouvait tenir ses nouvelles idées, et si
sur le moment elle s’était sentie heurtée, le choc avait imperceptiblement fait
bouger quelque chose en elle.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Une fois sous la lumière jaune
et pâle des réverbères, se faisant lentement un chemin dans la neige épaisse,
Elisabeth avait cherché à comprendre ce qui avait changé en Anna, et pourquoi
cette chose avait dans le même temps changé quelque chose en elle. Elle avait
essayé de reconstituer les paroles qu’elles s’étaient échangées, espérant y
découvrir une réponse. En observant attentivement les attitudes et les mots de
l’Anna qu’elle avait reconstituée dans son souvenir, elle avait décelé une
assurance qui lui avait semblé nouvelle. Elisabeth s’était sentie piquée de ce
qu’elle avait identifié comme un retard de sa part. Anna l’avait doublée :
elle avait commencé la première à s’affranchir des idées des autres pour se
forger ses propres goûts et ses propres points de vue. Elisabeth n’avait eu
alors de cesse de passer au crible de son entendement tout ce qui lui passait
par la tête, et ainsi purger son intelligence de tout ce qui n’était pas
d’elle, donc sans valeur.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Anna allait-elle lui
manquer ? Jusqu’à cet instant elle ne s’était pas posée la question. Elles
s’étaient engagées à s’écrire souvent, Elisabeth avait promis de tout lui
raconter de sa nouvelle vie, Anna de la tenir régulièrement informée de tous
les potins dont elle pourrait avoir connaissance. Elisabeth pensa qu’elle
allait la retrouver à chacun de ses retours, peut-être même qu’Anna pourrait de
temps à autre lui rendre visite. Elle devait admettre que ni l’une ni l’autre
n’avaient ressenti de déchirement à l’idée de ne plus pouvoir se voir aussi
souvent. Peut-être pensaient-elles déjà à l’opportunité séduisante de pouvoir
expérimenter de nouvelles faces de leur personnalité, une fois libérées du
regard de celle qui la connaissait depuis l’enfance, et qui pouvait aisément
reconnaître les mensonges et les faux-semblants. Ou peut-être que leur amitié
n’était qu’une habitude prise avec les années que la séparation aurait tôt fait
de dissoudre. Il était trop tôt pour savoir, elle décida de laisser cette
question de côté.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le train s’arrêta dans la gare
de Reutlikon. En face d’Elisabeth plusieurs quais courbes se distribuaient
parallèlement, entrecoupés de couples de voies ferrées. Aucun abri ne
protégeait des intempéries les voyageurs qui attendaient sous une grande
horloge. La gare était presque vide. Sur son quai, personne ne se distinguait
vraiment du modèle banal du banlieusard qui attend son train. Une jeune mère en
manteau sombre, une petite fille sage pendue à chacune de ses mains. Un
monsieur terne et chauve qui portait une mallette de cuir noir. Quelques
étudiants éparpillés fumaient. Un couple de très vieilles personnes prit du
temps pour descendre. Appuyée sur sa canne, la dame attendait anxieusement son
mari que l’homme chauve aidait à sortir de nombreuses valises du wagon. Puis
tous disparurent de son champ de vision. Les quais furent brutalement déserts,
à l’exception d’un employé des chemins de fer qui passa devant elle, son
sifflet rebondissant sur les boutons dorés au bout de son cordon. Tous
défilèrent ensuite dans le couloir. Un des étudiants vint s’asseoir devant
elle.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Un strident coup de sifflet
retentit. Le train se remit lentement en mouvement. Elisabeth aperçut
l’employé, posté au bout du quai, et qui les regardait quitter la gare. Sa
mission était achevée – jusqu’au prochain train. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elisabeth reprit sa position
initiale. Elle avait toujours son livre sur les genoux. Sa voisine était
concentrée sur son tricot – elle avait seulement levé un court instant la tête
quand le train s’était arrêté – et ne semblait pas attacher d’importance au
fait qu’elles avaient un nouveau voisin, un homme de surcroît. Ou alors elle
voulait laisser croire à l’étudiant qu’elle n’avait pas remarqué sa présence.
En y réfléchissant, Elisabeth se dit que c’était même l’hypothèse la plus
probable. Elle ouvrit son roman au hasard, et se cacha derrière pour observer
discrètement le jeune homme.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Vraiment un très beau garçon, se
dit-elle. Quel âge pouvait-il avoir ? Presque le même âge qu’elle,
probablement. Mais son visage glabre et rond pouvait la tromper. Il avait de
jolis cheveux blonds en désordre ; les yeux bleus et les lèvres fines. Il
portait un costume taillé dans un tissu épais sur une chemise ocre. Sa cravate
était elle aussi marron, comme ses chaussures, de bonne qualité et bien cirées.
A l’usure de son cartable en cuir, on pouvait deviner qu’il lui avait été
offert bien des années auparavant. Il se baissa pour en retirer un petit livre
joliment relié. Il avait de très belles mains, blanches, féminines, aux ongles
ronds et soignés. Il semblait ne pas l’avoir remarquée. Elle bougea légèrement
pour attirer son attention, mais ce fut peine perdue : il était déjà
totalement concentré sur sa lecture.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elisabeth reporta son attention
sur le paysage qui défilait. Le train était maintenant entré dans
l’agglomération et roulait moins vite. Elle avait ainsi tout le temps de
regarder en détail les petites maisons d’ouvriers, avec leurs jardinets coquets
et surchargés, où tout lui semblait trop propre et trop peigné. Le train longea
une grande usine en briques rouges percée de grandes baies qui dévoilaient sans
pudeur de gigantesques machines-outils en métal noir autour desquelles
s’affairaient des employés en blouse grise. Dans les bureaux mal éclairés, on
devinait des hommes qui se tenaient debout devant de grandes planches à dessin.
Des jeunes femmes tapaient frénétiquement sur des machines à écrire. Le train
passa ensuite par-dessus un canal sur lequel glissait, majestueuse et digne,
une péniche remplie de gravier. Puis il y eut un grand parc – les marronniers
avaient perdu presque toutes leurs feuilles –, d’autres rues, des boulevards à
la circulation intense d’automobiles et de camions, d’autres maisons par
centaines, d’autres jardinets, d’autres usines. Elisabeth se sentait grisée par
l’immensité urbaine.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Plus le train ralentissait,
pénétrant dans un écheveau de rails dense et serré, et plus l’heure de
l’arrivée prévue approchait, plus Elisabeth sentait l’excitation monter en
elle. Elle avait maintenant le nez presque collé contre la vitre, guettant tous
les indices qui pourraient lui permettre d’évaluer la distance qui lui restait
à parcourir. Elle avait déjà tout oublié, ses compagnons de voyage, les
montagnes, la nouvelle vie qui l’attendait, sa famille : elle n’était plus
qu’un bloc d’impatience.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Vous devriez vous préparer à
descendre, mademoiselle, lui dit la vieille dame, alors que le train longeait
une rue plantée d’élégants immeubles.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Oh ! mais je suis déjà
prête ! s’exclama-t-elle, comme si elle répondait à Anna.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Elle prit brutalement conscience
de son impolitesse et se retourna vers sa voisine.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Je suis déjà prête,
reprit-elle, le visage très rouge et tâchant de poser sa voix. Il y a si
longtemps que je suis prête.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">La vieille dame lui sourit
franchement, lui montrant par là que non seulement elle comprenait l’impatience
d’Elisabeth, mais qu’elle la partageait en l’honneur de la jeune fille qu’elle
avait été, glanant cette parcelle de jeunesse et d’enthousiasme pour elle-même.
Elle prit un ton assuré pour demander à l’étudiant :<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Auriez-vous l’obligeance de
descendre ma valise ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le jeune homme la regarda avec
des yeux ronds, comme éberlué que quelqu’un s’adressât à lui. Il mit ensuite si
longtemps à répondre que les deux femmes se demandèrent s’il n’était pas
étranger.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Bien sûr, madame, finit-il par
répondre timidement.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">La vieille dame continua de le
fixer en souriant gentiment. Il releva les yeux de son livre. Puis il comprit
enfin qu’elle souhaitait qu’il descendît sa valise <i>maintenant</i>. Il se détendit comme un morceau de caoutchouc et
attrapa la poignée qu’elle lui indiquait.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le train, qui roulait maintenant
au pas, atteignit le bout du quai de la gare Centrale. Elisabeth se tenait
debout dans son compartiment, ses sacs près d’elle sur la banquette. Elle se
mordillait les lèvres. Elle tourna légèrement la tête et vit les grands
panneaux écrits en lettres majuscules. Puis il y eut le crissement long et
désagréable des freins. Le train était maintenant sous la grande verrière. Il y
eut soudain un coup de sifflet, et un vacarme assourdissant. Le train s’arrêta.
C’était maintenant que tout commençait.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<!--EndFragment-->NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-80215000775822268342013-11-28T09:55:00.000+01:002014-01-16T12:02:37.723+01:00Le Veilleur<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10pt;">Penché en avant, le vieil homme
grattait le fond de la poêle pour en détacher les restes noircis des trois
sardines de son déjeuner. Ils composeraient le festin de la dizaine de chats
qui ondulaient autour de lui, la queue déplumée dressée au-dessus de leurs
corps rachitiques. Ils connaissaient ses heures et ses habitudes. A peine sa
fourchette frottait-elle la casserole qu’ils accouraient tous comme des petits
faunes à travers la végétation ensauvagée du jardin.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il se releva, souleva la visière
de sa casquette et s’épongea le front avec sa manche de chemise. Le soleil
n’atteindrait son zénith que dans une grosse heure, mais il tapait déjà fort.
Il se dirigea vers la maison et entra par la porte qu’il avait laissée
entrouverte.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Sa maison ne comportait qu’une
seule pièce qui faisait office de chambre, de cuisine et de salon. Son seul
luxe en était le sol couvert de grandes ardoises parfaitement jointoyées et
très propres. Une petite cheminée à mi hauteur du mur lui servait à la fois à
faire cuire ses aliments et à le chauffer en hiver. Il y avait tout juste la
place pour son mobilier : un lit de camp, une petite table carrée, une
chaise, un buffet. Une cuvette creusée dans un bloc de roche était disposée
sous l’unique fenêtre aux volets toujours fermés. Il y faisait sa toilette et y
lavait sa vaisselle. Au-dessus de sa tête de belles grosses poutres, noires
comme le charbon, supportaient le toit de lauzes.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il déposa la poêle noircie au
fond de l’évier, puis débarrassa la table des restes de son repas. Il prit un
vieux torchon sale pour retirer du feu la petite casserole d’aluminium dans
laquelle il avait mis son café à chauffer et s’en versa une tasse. Il attrapa
la chaise par son dossier, la mit devant la porte et s’y assit.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">La mer semblait aussi lisse
qu’un lac, à peine quelques filets d’écume en irisait la surface d’un bleu
sombre et intense. Le bruit des vagues en contre-bas était doux et régulier. La
brise s’était momentanément arrêtée, seul le bruit de quelques insectes
troublait le silence.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div align="center" class="MsoNormal" style="text-align: center;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">*<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">L’île, presque trois fois plus longue
que large, s’étendait d’est en ouest de part et d’autre d’une chaîne de
montagnes élevées. Au nord de hautes falaises tombaient à pic dans les flots,
tandis qu’au sud les pentes raides étaient aménagées en terrasses depuis des
temps immémoriaux. La maison du vieil homme avait été bâtie sur l’une d’elles
par un ancêtre dont le nom s’était perdu. Il y vivait seul depuis que, tout
juste sorti de l’enfance, son père l’avait chargé d’entretenir ce lopin de
terre sèche et de récolter les fruits qu’il fournissait chaque année.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il avait obtempéré sans
broncher ; on ne discutait pas les ordres de son père. Il s’était acquitté
de son devoir avec application. Le chef de l’exploitation familiale n’avait
jamais eu à se plaindre de son travail et les années avaient passé.
D’abord son père, puis sa mère, puis ses sœurs, tous étaient morts désormais.
Lui seul était encore vivant, et toujours dans sa maisonnette en pierres et aux
huisseries peintes en bleu. Il vendait sa récolte d’olives et de raisin, pêchait
de temps à autre, et cela lui suffisait. Il ne désirait rien de plus et
possédait tout ce dont il avait besoin.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Au hameau on l’appelait le <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Veilleur</i>. Tout le monde, passant sur le
chemin qui serpentait de terrasse en terrasse, l’avait surpris au moins une
fois fixant la mer, immobile et debout, les bras le long du corps. Nul ne
savait ce qu’il attendait. C’était le seul loisir qu’on lui connaissait. Les
plus vieux l’assuraient : dès son plus jeune âge, du moment qu’aucun
travail ne l’occupait, il se plantait quelque part et regardait au large. Au
début les filles s’étaient moquées de lui. Elles lui avaient demandé en riant
s’il attendait le retour d’Ulysse – ou l’arrivée du Déluge. Puis les filles
avaient vieilli et s’étaient détournées du <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Veilleur</i>
qui restait toujours sourd à leurs sollicitations. La communauté s’était
appropriée sa lubie ; elle faisait maintenant partie de lui.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div align="center" class="MsoNormal" style="text-align: center;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">*<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Sans détacher ses yeux de la
mer, il avala une gorgée de café brûlant. La forme floue d’un ferry s’extrayait
lentement de l’horizon, un bourdonnement sourd témoignait de son effort. Quelques
minutes plus tard il passerait devant le vieillard, puissant et imposant,
fendant l’eau et laissant derrière lui une large traînée d’écume s’élargissant
en éventail jusqu’à se fondre dans les flots.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div align="center" class="MsoNormal" style="text-align: center;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">*<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le ferry avait maintenant
dépassé l’île depuis longtemps. Le fond de la tasse abandonnée aux pieds de la
chaise s’était couvert d’une pellicule noire de café séché. Une petite mouche
noire rampait sur la paroi intérieure, comme si elle hésitait à plonger dans
des profondeurs abyssales.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le vieil homme était allongé sur
son lit, la casquette sur les yeux. Il ronflait légèrement. Un chat assis sur
le seuil le regardait, immobile. Il savait qu’il n’avait pas le droit d’entrer
et attendait patiemment un signe, assuré qu’il obtiendrait quelque chose à se
mettre sous la dent. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Une camionnette passa lentement
sur le chemin de pierre au-dessus de la maison, soulevant un nuage de
poussière. Le vieil homme bougea un doigt. Le chat se remit sur ses quatre
pattes. Au bout d’un court moment, il se rassit, c’était une fausse alerte, la
sieste n’était pas encore terminée.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le vieil homme rêvait. Il était
un petit garçon assis sur les galets d’une plage. Un magnifique voilier,
éclatant de blancheur, voguait au loin. Ses poulies brillaient au soleil de
midi. La vision était si éblouissante qu’il devait mettre ses mains en visière
au-dessus de ses yeux pour la regarder. Sur le pont il distinguait deux femmes
et un homme, eux aussi tout en blanc. Ils étaient immobiles et regardaient dans
sa direction mais ne semblaient pas le voir. Le temps s’étirait. Le voilier
semblait presque immobile, malgré les deux plis d’eau de chaque côté de la
proue et les ondulations sur les flancs du bateau. Puis une des silhouettes se
déplaça. Pendant un court instant, il aperçut un corps nu, mais flou, une
petite tache noire dans une ombre. Puis la silhouette disparut, et une tête
surgissait de temps à autre dans les vagues. Lui restait immobile. La tête
apparaissait et disparaissait, les cheveux mouillés brillant au soleil. A un
moment il prit conscience que le bateau avait disparu. L’horizon était vide. La
mer scintillait. Le soleil était dur.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le chat poussa un petit
miaulement bref. Le vieil homme expira doucement, releva sa casquette et se
releva. Il fit quelques pas en titubant légèrement puis se réveilla tout à
fait.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">- Va. Je vais te trouver quelque
chose.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Il ouvrit une boîte de conserve
et en versa le contenu dans une coupelle qu’il déposa sur le seuil. Le chat le
regarda en miaulant puis se jeta sur sa pitance.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le vieil homme sortit de la
maison, regarda la mer un moment, puis ramassa la tasse, faisant s’envoler la mouche.
Il mit la tasse dans l’évier et ressortit s’asseoir sur la chaise.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le soleil qui baissait
allongeait les ombres. Les frisottis d’écume étaient maintenant plus nombreux à
la surface de la mer et faisaient de grandes traînées parallèles. En haute mer,
la houle devait être forte.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">D’ailleurs une longue barque à
moteur rentrait au port. Un homme en salopette tenait le manche. L’embarcation
tanguait fortement. Des tas de filets noirs brillaient au fond et les cagettes
en plastique étaient vides. Inutile de s’acharner dans ces cas-là.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Pour les touristes qui étaient
attablés au bistrot de la plage, c’était l’heure la plus belle de la journée.
Le soleil allait peu à peu se coucher, rougeoyant et irradiant, colorant tout
le paysage d’une teinte chaude et orangée. La vie semblait se suspendre jusqu’à
ce qu’il eût entièrement disparu à l’horizon. Puis on allumerait les
guirlandes, on trinquerait et les conversations reprendraient.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Pour le vieil homme, toutes les
heures étaient belles, celle-ci autant que les autres. Le petit avantage du
crépuscule était qu’il faisait moins chaud. La brise de terre allait bientôt se
mettre à dévaler la pente vers la mer, caresser doucement la maison et
réveiller l’odeur sucrée des figuiers.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Lorsqu’il fit entièrement nuit,
il rentra sa chaise et alluma la lampe à pétrole sur la table. Il se coupa
quelques légumes et une grosse tranche de fromage qu’il arrosa d’huile d’olive.
Trois chats malingres étaient assis sur le seuil et le regardaient manger.
Quand il eut terminé, il rangea la vaisselle, balaya les miettes de pain de la
table et éteignit la lampe. Lorsqu’il ressortit avec sa chaise à la main, les
chats s’ébrouèrent en miaulant doucement.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Le vieil homme reprit sa place
devant la maison. Les vagues battaient régulièrement le rivage. Malgré l’éclat
d’une lune presque pleine, les étoiles semblaient aussi nombreuses sur la toile
bleu marine du ciel que les grains de sable sur la plage.<o:p></o:p></span></div>
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<!--EndFragment--><br />
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia; font-size: 10.0pt; mso-bidi-font-size: 12.0pt;">Un gecko, au corps presque
phosphorescent et aux grands yeux globuleux, ses pattes spatulées agrippées à
la pierre au-dessus de la fenêtre, était lui aussi parfaitement immobile.<o:p></o:p></span></div>
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-70757621740695516382013-04-12T22:03:00.001+02:002013-04-22T08:02:20.996+02:00Le tour de garde<!--StartFragment-->
<br />
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Un
nuit froide et sans lune était tombée. Les deux soldats avaient éteint leur feu
et éparpillé les cendres dès que le jour avait commencé à décliner. Ils avaient
tiré au sort le nom de celui qui allait effectuer le premier tour de garde,
puis ils étaient partis chacun de leur côté.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Tandis
que l’un installait son couchage sur le lit de camp de l’abri, sans autre choix
– puisque toute source de lumière était interdite dans la maisonnette – que d’essayer
de trouver le sommeil léger et agité de celui qui sait qu’il sera réveillé au
milieu de la nuit, l’autre montait lentement l’échelle de la cabane d’observation.
<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">C’était
une sorte de cabane de chasseur, boîte en bois suspendue sur quatre longues
pattes dans les feuillages, ouverte sur le côté où on entrait, couverte d’un
toit de camouflage, et dont trois côtés étaient percés de lucarnes de
surveillance étirées.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Le
premier de tour de garde, debout dans la cabane, se demanda, comme toujours au
début d’une nuit de surveillance, quelle était la meilleure position pour
rester immobile si longtemps sans sentir son corps s’ankyloser et sans être
tenté de s’endormir. Il n’était pas possible d’y rester debout : regarder
par les ouvertures nécessitait de se baisser. Rester à genou était trop
fatiguant et douloureux. Etre assis en tailleur demandait trop de temps pour se relever en cas d’urgence. Alors il décida de commencer sa veille en s’asseyant
le dos contre le mur, les jambes à moitié pliées et les pieds à plat sur le sol
sale de la cabane.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
croisa d’abord les bras, et s’assura qu’il avait tout ce dont il avait besoin.
A portée de main, il avait sa gourde, ses cigarettes – même s’il n’était pas
autorisé à fumer – et son arme, canon levé. Le sifflet d’alarme était pendu à
son cou par un cordon crasseux.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
lui fallut ensuite plusieurs minutes pour habituer son ouïe aux bruits de la
forêt. Dans l’obscurité, le bruissement des feuilles sous lesquelles il se
tenait l’assourdissait. Il y eut ensuite quelques hululements et les
craquements habituels.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
resta ainsi pendant plusieurs minutes, ne pensant à rien, laissant la nuit
couler en lui. Il remonta son col, referma le dernier bouton de sa vareuse et
ajusta sa casquette pour garder son crâne au chaud.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Suivant
à la lettre les instructions qui stipulaient que le garde devait s’assurer <i style="mso-bidi-font-style: normal;">visuellement</i> avec régularité de la
situation sur le terrain, il se releva et glissa les yeux à travers une des
petites fenêtres de la cabane. Il faisait si sombre qu’il devinait tout juste
la paire de rails qui se perdait dans l’obscurité, sur la droite et sur la
gauche. Il se fit la remarque pleine de justesse qu’il aurait été bien en peine
d’apercevoir qui que ce fût dans cette purée de poix. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
se rassit, ayant en tête la pensée rassurante qu’il ne passait jamais personne
sur cette voie hormis quelques trains de bois à la fin de la saison de coupe,
et qu’un fugitif éventuel n’aurait pas eu l’idée de rester à découvert sur la
voie qui offrait presque un couloir de tir parfait.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
laissa un long moment se passer avant de se relever contrôler la vue. Il se dit
que plus la nuit allait avancer, moins il aurait le courage de se relever pour
assurer sa surveillance inutile. A l’exception des cimes qui ondulaient légèrement
sur la gauche des rails, il n’aperçut aucun mouvement suspect et se réinstalla.
La place était encore chaude. Il but une goutte de l’alcool fort qu’il avait
emporté avec lui.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Une
période de temps assez longue s’écoula. Il ne parvenait pas à la quantifier,
pour cela il aurait fallu craquer une allumette et regarder sa montre. Il
sentait le froid qui tombait sur ses épaules et la fatigue qui lui rendait l’esprit
confus. Il se demanda s’il ne s’était pas assoupi.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Par
acquit de conscience, il se releva, étira ses membres. Il fit du même coup
craquer les planches du sol de la cabane et sursauta. Il regarda à travers la
première lucarne. Il constata seulement que le vent s’était levé, la cime des
arbres était prise d’une grande agitation.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
se rassit en se demandant pourquoi on ne les équipait pas de projecteurs
puissants qui auraient permis d’éclairer la voie sur des dizaines de mètres et
de repérer immédiatement tout intrus. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
posa la tête sur la paroi de la cabane et revit en mémoire les mouvements
saccadés des arbres. Il tendit l’oreille, se concentra sur son ouïe. Il devait
admettre qu’il n’entendait pas le bruit qu’il aurait dû entendre dans les
arbres si le vent avait soufflé aussi fort qu’il l’avait vu.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
se releva à nouveau et observa. Les cimes avaient retrouvé leur ondulation
naturelle. Ce n’était donc qu’une simple bourrasque. Il se rassit rassuré.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Une
autre période de temps s’écoula. Une heure, deux heures, trois heures ; il
ne savait pas. Il luttait contre le sommeil, se sentait glacé des pieds à la tête,
ses articulations étaient douloureuses et l’ennui l’abrutissait complètement.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
décida de se secouer, si ce n’était pour le bien de sa surveillance, cela
aurait au moins le mérite de le réveiller. Il resta face à la lucarne plus
longtemps que de coutume, sondant l’obscurité et le silence. Il vit à nouveau les
cimes onduler dans de grands mouvements. Il n’était pas certain de rêver, mais
il avait la sensation qu’une partie seulement de la forêt était concernée par
les bourrasques. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
frissonna, s’agenouilla, baissa les yeux comme pour les laver de sa vision et
empoigna son arme.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
releva la tête et regarda à nouveau avec attention la zone de forêt qui
longeait la voie ferrée et qui s’agitait. Cette fois, il en était certain, un
seul arbre, probablement un très grand arbre, était pris de mouvements
inhabituels. Il était presque certain qu’une bourrasque seule ne pouvait pas créer
ce genre de mouvement désordonné. Il lui semblait que toute une colonie de
singes se balançait dans ses branches.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
resta un long moment à regarder ce mystère et à se demander de quoi il pouvait
s’agir. Il eut soudain la réponse à sa question : ce ne pouvait être qu’une
colonie de corbeaux. Seuls ces grands oiseaux pouvaient créer ce mouvement dans
les branches. Il avait déjà vu une bande de ces animaux quand il était enfant,
plusieurs dizaines de volatiles noirs qui agitaient un pauvre peuplier en tout
sens au bord du fleuve. Il se rassit soulagé.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Alors
qu’il fermait les yeux, il prit conscience qu’à la différence d’avec son
souvenir, il n’entendait pas les lugubres croassements qui accompagnaient cette
scène de son enfance. Soudain le silence de la forêt l’inquiéta. Il se
demandait s’il devait alerter son camarade. Mais pour lui dire quoi ? Qu’un
arbre bougeait bizarrement ? Que la forêt était trop silencieuse ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
n’y avait rien là de vraiment inquiétant, et pourtant il sentait une terreur
froide mouiller son dos. Il était incapable de réfléchir et de décider ce qui était
le mieux à faire pour lui.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
ne pouvait plus bouger et sentait chaque seconde s’écouler lentement. Tirant du
plus profond de lui-même le courage d’aller s’assurer une dernière fois qu’il n’avait
pas rêvé, avec l’espoir de s’être trompé, de s’être monté une histoire, il
regarda par la petite lucarne dans la direction de l’arbre qui s’agitait. Mais
c’était maintenant au tour d’un autre arbre d’être pris de mouvements
convulsifs, il en était absolument certain. Celui qui était maintenant touché
par le phénomène était beaucoup plus proche de la cabane que le précédent. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
ne lui fallut qu’un éclair de temps pour parvenir à cette conclusion : la
chose s’était rapprochée. Il ne doutait plus maintenant que quelque chose
faisait bouger les arbres, et que cette chose s’était déplacée. Paralysé par la
peur, il regardait fixement les branches folles en essayant de deviner une
forme qui lui eût permis de savoir ce que c’était, homme ou animal.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Puis
l’arbre cessa brusquement de bouger. Il resta tendu de tous ses nerfs à
attendre un bruit ou une lumière, quelque chose. Mais il n’y avait rien d’autre
que le silence noir. La forêt semblait même minérale tant elle était immobile
et silencieuse.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Un
très long moment s’écoula ainsi. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Puis
le silence fut rompu par un long cri aigu et inhumain.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Il
empoigna son arme et descendit l’échelle à toute vitesse. Il sauta sur le sol,
puis entendit au-dessus de lui les feuilles qui s’entrechoquaient. Il leva la tête,
et avant même d’avoir pu apercevoir ce qui était au-dessus de lui, il s’effondra
sur le sol, un fin morceau de bois en travers de la gorge.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Avril 2013</span></div>
<!--EndFragment-->
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-84262840639651937362013-02-13T15:42:00.000+01:002013-02-13T15:42:37.545+01:00Budapest<!--StartFragment-->
<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="line-height: 20px;"><span style="font-family: "Times New Roman";">Vous
commencerez par remonter la </span><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; mso-bidi-font-family: Arial; mso-bidi-font-size: 13.0pt; mso-bidi-font-weight: bold; mso-fareast-language: FR;">Ráday utca</span></i><span style="font-family: "Times New Roman"; mso-bidi-font-family: Arial; mso-bidi-font-size: 13.0pt; mso-bidi-font-weight: bold; mso-fareast-language: FR;"> jusqu’à <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Kálvin tér</i>. Si la place est encore en
travaux, elle se conforme déjà entièrement aux standards de l’urbanisme
occidental : interconnexion entre le tram et le métro, larges espaces
réservés aux piétons, grands bâtiments en verre, enseignes, publicités
tapageuses. Vous vous engagerez ensuite sur un grand boulevard : <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Múzeum körút</i>. Vous passerez alors devant
un grand bâtiment néoclassique à la façade ornée d’une colonnade et d’un escalier
majestueux, c’est le <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Magyar Nemzeti
Múzeum</i>, le musée national de Hongrie. Les hauts immeubles Art Déco seront
gris ou noirs ou entièrement restaurés, ou alors tomberont tellement en ruine
que des barrières protègeront les piétons des chutes de pierres. Puis vous
découvrirez sur votre droite l’élégante façade de briques, surmontée de deux
bulbes dorés, de la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Dohány utcai
zsinagóga</i>, la grande synagogue, avant de pénétrer par la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Dob utca</i> dans le quartier juif,
labyrinthe de cours souvent délabrées, d’autres fois transformées en lieux se
sorties à la mode. Parfois, vous verrez la brique laissée à nu par la chute du
plâtre au pied de la façade d’une vieille synagogue, vous regarderez sa porte
en bois noirci par les hivers, et vous vous rappellerez les années de mort dans
le ghetto. La neige qui tombera dru aura couvert les trottoirs et les jardins
d’<i style="mso-bidi-font-style: normal;">Andrássy út</i>. Sur la grande avenue
vous retrouverez l’alternance de luxueux et flamboyants bâtiments du XIXème
siècle et des ruines qui vous évoqueront la guerre et l’intervention meurtrière
des chars soviétiques en 1956. Après avoir longuement marché dans la neige, vous
devinerez, au loin dans la brume, la haute colonne, l’archange Gabriel aux
ailes déployées, et les statues équestres des héros Magyars d’</span><i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman"; mso-bidi-font-family: Helvetica; mso-bidi-font-size: 13.0pt; mso-bidi-font-weight: bold; mso-fareast-language: FR;">Hősök tere</span></i><span style="font-family: "Times New Roman"; mso-bidi-font-family: Helvetica; mso-bidi-font-size: 13.0pt; mso-bidi-font-weight: bold; mso-fareast-language: FR;">, dont les manteaux semblent voler dans la brise
du matin de leur arrivée dans la plaine de Hongrie. Derrière la place vous
pourrez patiner sur le lac gelé, les hauts parleurs vous hurleront dans les
oreilles des valses viennoises. Vous vous baignerez ensuite dans une piscine
alimentée par une source d’eau chaude, les flocons tomberont sur vos cheveux et
y fondront. Vous en sortirez à la fois sereine et épuisée. Sur le quai vous
guetterez le métro, massif et rectangulaire, de longues lignes strieront sa
carlingue et vous évoqueront les années 1950. Les plaques en aluminium du
constructeur seront vissées sur la carrosserie : elles seront écrites en
russe.</span></span></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh1MNyqrQ4S5DPc25eF7oaJqPW6g0T3S2dkIzgKQrHEDLaPcT7-bjlN6VHWMsfP9tDUsdlXdmIN-_YUJTaNa4-fXnqgqy8Sh9zqmqpa_eaWkDOUnYu85Q62ZVTBIY_1-BbYbFD2Uqvu-bU/s1600/DSC01422.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEh1MNyqrQ4S5DPc25eF7oaJqPW6g0T3S2dkIzgKQrHEDLaPcT7-bjlN6VHWMsfP9tDUsdlXdmIN-_YUJTaNa4-fXnqgqy8Sh9zqmqpa_eaWkDOUnYu85Q62ZVTBIY_1-BbYbFD2Uqvu-bU/s320/DSC01422.JPG" width="240" /></a></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 15.0pt; margin-bottom: .0001pt; margin-bottom: 0cm; mso-layout-grid-align: none; mso-pagination: none; text-align: justify; text-autospace: none;">
<span style="font-family: "Times New Roman"; mso-bidi-font-family: Helvetica; mso-bidi-font-size: 13.0pt; mso-bidi-font-weight: bold; mso-fareast-language: FR;"><span class="Apple-style-span" style="font-family: Times; line-height: normal;"></span></span></div>
<div class="MsoNormal" style="line-height: 15.0pt; margin-bottom: .0001pt; margin-bottom: 0cm; mso-layout-grid-align: none; mso-pagination: none; text-align: justify; text-autospace: none;">
<span style="font-family: "Times New Roman"; mso-bidi-font-family: Helvetica; mso-bidi-font-size: 13.0pt; mso-bidi-font-weight: bold; mso-fareast-language: FR;">Février 2013</span></div>
<!--EndFragment-->
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-67490475209626278042013-01-24T10:00:00.000+01:002013-01-24T10:00:25.402+01:00La fin du monde<!--StartFragment-->
<br />
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: Georgia;">Ses
bottes de chasse aux pieds, chaudement vêtu de son treillis et de sa veste
rembourrée, M. Denis se tenait appuyé sur le manche de sa grande pelle à neige.
Il regardait le camion de poubelles qui s’avançait précautionneusement sur la
chaussée poisseuse. Il salua d’un geste de la main les éboueurs emmitouflés qui
vidèrent sa poubelle dans la benne. Ils répondirent à son salut et passèrent à
la maison suivante. M. Denis tira quelques bouffées de sa pipe dont la fumée se
mêlait à la vapeur de son haleine dans le matin glacial.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Il
lui avait fallu plus d’une heure de labeur pour dégager l’allée, l’entrée du
garage et sa portion de trottoir de toute la neige qui était tombée pendant la
nuit – soit bien quinze centimètres. Il ne voulait pas qu’un passant se cassât
une jambe précisément devant chez lui. Avec sa veine, le pire était toujours à
craindre.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Il
regarda le camion qui s’éloignait lentement, tour à tour suivi et devancé par
les éboueurs en blousons multicolores. Puis quelques autos passèrent, au pas.
Il avait tout le temps de rentrer. Il profitait de ce début de journée ralenti
par le soudain temps d’hiver pour fumer sa pipe, tranquille, sans sa femme pour
interrompre le fil chaotique de ses pensées.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Un
long frisson le traversa de part en part : il se refroidissait. Il alla chercher
la poubelle qu’il rangea dans le garage. Il déposa la pelle à côté. Il
suspendit son manteau à la patère, et retira ses bottes qui ruisselaient sur le
béton. Il chaussa ses pantoufles et entra dans le couloir.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Il
faisait chaud dans la maison. Il y avait cette odeur familière, faite de soupe,
de café resté trop longtemps sur la cafetière et de nappe cirée.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Te voilà, toi ! dit sa femme quand il entra dans le salon.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Mme
Denis était une grosse dame aux cheveux bleus frisés. Vêtue d’une robe sans
forme, elle repassait du linge en écoutant une émission qui s’échappait d’un
petit poste de radio posé sur la tablette de la cheminée.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Oui, me voilà, répondit M. Denis sans desserrer les dents de sa pipe.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Il
se tenait debout, l’épaule appuyée au chambranle de la porte.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Tu savais, toi, que la fin du monde est annoncée pour le 21 décembre
2012 ? demanda-t-elle mi-ironique, mi-sérieuse.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Non. C’est quoi, ces conneries ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Je viens d’entendre ça à la radio. Ça vient des Mayas, paraît-il.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Et qu’est-ce qu’il est censé se passer le 21 décembre ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Une météorite va s’écraser sur la terre, ils disent.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Des conneries, répondit-il, méprisant.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Qu’est-ce que t’en sais, toi ? T’es Maya, peut-être ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">M.
Denis leva les yeux au ciel et dit :<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Tu imagines bien que si une météorite devait s’écraser sur la terre dans deux
jours, on la verrait déjà arriver sur tous les télescopes du monde ! Dans
ce cas, ça se saurait.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Monsieur a réponse à tout, répondit-elle un peu piquée par le ton de son mari.
N’empêche qu’il y a des gens qui y croient.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Ah ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Oui. Même qu’ils se cachent dans des grottes qui seront, paraît-il, épargnées.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
N’importe quoi ! Ça me rappelle les hippies des années 1970 !<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Parce que t’as fréquenté des hippies, toi, peut-être ? C’est bien la
première fois que j’entends parler de ça.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Mme
Denis éclata de rire, tandis que M. Denis sourit au souvenir de cette jeune
femme aux cheveux longs qui voyageait en stop et que son père avait autorisée à
dormir dans la grange. Elle avait été fort reconnaissante avec le fiston de la
maison. La libération sexuelle avait du bon, quand même, pensa-t-il.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Eh ! Je te parle ! A quoi tu pensais ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
A rien, répondit-il en mâchonnant sa pipe.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Tu parles. Je ne te crois pas. Garde tes secrets, je m’en fiche, va.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Mme
Denis plia un torchon et le posa sur la pile de torchons déjà repassés sur la
table à manger. Puis elle commença à en repasser un autre. Comme son mari ne se
décidait pas à partir, elle lui dit :<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Tu as fini de tout déneiger ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Oui. Tout est dégagé. On ne peut pas en dire autant de la rue. Une vraie
gouillasse.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Peut-être que le chasse-neige va passer dans la matinée.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Peut-être, oui.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Dis, tu as peut-être autre chose à faire qu’à rester planté là à me regarder
repasser ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Et
comme il restait immobile, le regard dans le vague, elle ajouta :<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Eh ! Tu m’entends ?!<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Oui, oui. Je pars, je pars.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">M.
Denis fit demi-tour, retourna dans le garage, évitant soigneusement la flaque
d’eau devant la porte, et se dirigea vers son atelier qui était aménagé dans
une grande pièce séparée du reste du garage par un mur de parpaings à nu. Il
commença par faire un peu de rangement sur l’établis, l’esprit ailleurs. Il
n’aurait pas voulu l’admettre devant sa femme, mais il était assez préoccupé
par cette histoire de fin du monde. Il n’y croyait pas positivement, mais tout
de même. Si c’était vrai ? Que ferait-il ? Il y avait là de quoi
remâcher toute la journée.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
C’est bien un paysan, tiens, marmonnait dans sa barbe Mme Denis. Il part toujours
du principe que tout ce qu’on raconte à la radio ou à la télé, c’est que des
mensonges pour berner les gens comme nous. N’empêche. Si c’est vraiment la fin
du monde, les malins dans l’histoire, ce sont les gens qui vont dans les
grottes. Ils seront sauvés, eux. Il faut être bien sûr de soi pour tout quitter
comme ça, sa maison, son travail, on ne quitte pas ça sans bonnes
raisons. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Elle
n’aurait pas voulu l’admettre devant son mari, mais elle commençait à y croire,
elle, à cette histoire de fin du monde. L’argument qui l’avait réellement fait
vaciller – le spécialiste de l’émission avait insisté là-dessus – était que
c’était déjà arrivé dans le passé : tous les dinosaures avaient
disparu ! C’était concret, ça.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">M.
et Mme Denis passèrent une journée inquiète, chacun préoccupé de son côté de ce
qu’il convenait de faire dans cette situation. Comme d’un commun accord, ils se
fuirent toute la journée pour ne pas avoir à dévoiler le fond de leurs pensées.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><o:p><br /></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: center;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: Georgia;">*</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">M.
Denis se retourna pour la millième fois dans son lit. Il regarda l’heure :
2h30. Les insomnies le tourmentaient rarement, il se demandait pourquoi il ne
parvenait pas à s’endormir. Il soupira.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Robert, tu ne dors pas ? chuchota Mme Denis.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Non, souffla-t-il, agacé. Je n’arrive pas à m’endormir.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Moi non plus. Je n’arrête pas d’y penser.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
A quoi ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
A la fin du monde, voyons ! A quoi d’autre ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Mais puisque je t’ai dit qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter !<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Je te trouve bien sûr de toi.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Si c’était vraiment la fin du monde, on le saurait, sois tranquille.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Si c’était eux qui avaient raison ? Ceux qui vont dans les grottes ?
Qu’est-ce qu’on en sait, après tout ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
La fin du monde n’est pas pour demain, va. Dors donc.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Un silence ouaté s'installa. M.
Denis commençait à sentir l’inconscience s’emparer de son cerveau.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Pourquoi nous n’irions pas, nous aussi, dans les grottes ? demanda Mme
Denis à haute voix.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Arghhh ! Je commençais à m’endormir !<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Excuse-moi, mais je te rappelle quand même qu’il s’agit d’une question de vie
ou de mort. Mais si tu t’en fous qu’on meure, dis-le tout de suite !<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
On mourra de toute façon, alors demain ou dans dix ans, c’est pareil. Dors,
maintenant.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Mme
Denis tourna le dos à son mari qui se mit à ronfler.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><o:p><br /></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: center;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: Georgia;">*</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Lorsque
le lendemain matin, M. Denis sortit de la salle de bain, se réjouissant par
avance de prendre un bon petit-déjeuner avant d’aller fumer une pipe dans le
jardin glacé, Mme Denis avait posé une grosse valise sur leur lit et y déposait
des vêtements par piles.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Mais qu’est-ce que tu fais, Simone ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Toi, tu fais ce que tu veux, mais moi, j’y vais.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Où ça ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Mais dans les grottes !<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Quoi ?!<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Tu m’as très bien entendue.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Tu es devenue complètement folle ! Puisque je me tue à te répéter que ce
N’EST PAS LA FIN DU MONDE !<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Tu as ton avis, j’ai le mien. J’ai pris ma décision. Je tiens à la vie, moi. Je
pars.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Et tu y vas comment, aux grottes ? demanda-t-il goguenard.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Avec l’auto, pardi.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Et moi, comment je vais faire ??<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Puisque tu t’en fous de mourir demain, tu peux bien t’en passer.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Mais ça ne va pas dans ta tête !<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Pense ce que tu veux, mais laisse-moi préparer mes affaires, maintenant.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">M.
Denis leva les yeux au ciel et quitta la chambre. Il se dit qu’il n’allait pas
se priver de son petit-déjeuner pour ce genre de bêtises, et que sa femme
reviendrait probablement à la raison quand elle se retrouverait seule dans
l’auto – qu’elle savait à peine démarrer, d’ailleurs.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Il
alluma la radio et prépara le petit-déjeuner pour tous les deux. Alors qu’il
mangeait une tartine, Mme Denis se présenta à la porte de la cuisine, sa valise
à la main et son petit chapeau des enterrements sur la tête. M. Denis se retint
de justesse d’éclater de rire. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Prends au moins un café avec moi, lui dit-il gentiment.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Mme
Denis pinça les lèvres, et s’assit à table, toute engoncée dans son manteau.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Tu es toujours décidée ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Plus que jamais.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><span style="mso-spacerun: yes;"><br /></span></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><span style="mso-spacerun: yes;"> </span>- Tu m’abandonnes alors ? Après
toutes ces années ? Comme ça, du jour au lendemain ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">-
Je ne t’empêche pas de venir avec moi.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Georgia;">Au
mot d’apocalypse, tous deux tendirent l’oreille vers le transistor :<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Georgia;">« … la meilleure preuve que
cette prophétie est fausse est qu’en comptant les jours supprimés du calendrier
au Moyen-Age, la fin du monde aurait de toute façon eu lieu la semaine
dernière… »<o:p></o:p></span></i></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: Georgia;"><br /></span></i></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: Georgia;">Janvier 2013</span></div>
<!--EndFragment-->
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-83072383644745279542013-01-09T10:13:00.001+01:002013-01-09T10:13:55.369+01:00Villes<!--StartFragment-->
<br />
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman";">Milan</span></i><span style="font-family: "Times New Roman";">. Elle est l’une des agglomérations les
plus importantes d’Europe, et pourtant elle est méconnue. Sorte de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Gotham City</i> italien, aux boulevards
immenses et rectilignes, aux vitrines luxueuses et aux gratte-ciel Art Déco qui
se propulsent vers les nuages. Les grands halls de ces résidences chics sont
carrelés de marbre et brillamment éclairés. Il faut montrer patte blanche au
concierge avant de pouvoir pénétrer dans l’ascenseur.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></i></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman";">Trieste</span></i><span style="font-family: "Times New Roman";">. Elle ne peut cacher qu’elle est une
ville croupion. Ses monuments pompeux et ses énormes bâtiments municipaux,
construits à la gloire de l’unité italienne, ne font pas illusion. Ce ne sont
que les parements fanés et hors sujet d’une ville décatie qui essaie de nous
amadouer. Car, pour la quitter, on emprunte une autoroute sur pilotis qui
traverse de part en part la zone industrielle rouillée et fumante et les
quartiers bétonnés, et qui serpente ainsi jusqu’au sommet de la pente, là où
est creusé le tunnel qui pénètre en Slovénie.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></i></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman";">Ljubljana</span></i><span style="font-family: "Times New Roman";">. Voilà une petite ville de province propre
et pimpante. Elle est ceinte de hautes montagnes enneigées. Il y a un château
fort sur une éminence, et même un funiculaire pour y monter. Et pourtant les
touristes ne s’y précipitent pas. Il faut dire qu’il n’y a rien à y faire.
C’est là qu’on été enregistrés mes premiers disques de Chostakovitch, dans
cette collection bon marché. Incroyable : cette ville existe vraiment. A
l’époque c’était la Yougoslavie et le rideau de fer. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></i></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<i style="mso-bidi-font-style: normal;"><span style="font-family: "Times New Roman";">Vienne</span></i><span style="font-family: "Times New Roman";">. Grande – disproportionnée, même – et majestueuse.
La quintessence de la capitale européenne : les palais, les constructions
du XIXème siècle, les boulevards, les trams. Le seul endroit au monde où
l’opéra diffuse des ballets sur écran géant le soir du réveillon, alors que la
foule s’éparpille partout dans les rues, déjà ivre. Les valses de Vienne
prennent soudain une autre couleur. Et puis il y a Barbara, la cathédrale, le
Danube et le Prater. Et on en revient une fois encore à S. Zweig.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Janvier 2013</span></div>
<!--EndFragment-->
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-66224450939041453892012-12-17T17:22:00.000+01:002012-12-17T17:22:36.838+01:00Patrick Modiano<!--StartFragment-->
<br />
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Est-ce
le destin de certains auteurs d’être des écrivains <i style="mso-bidi-font-style: normal;">du dimanche </i>? Non pas comme on parle de <i style="mso-bidi-font-style: normal;">peintres du dimanche</i>, mais parce que notre main est aimantée par
leurs livres dans la bibliothèque le dimanche en particulier, quand la
luminosité est faible, qu’il pleut peut-être et qu’une longue après-midi
d’oisiveté nous attend. Les membres les plus éminents de ce club très fermé
sont Jules Verne et Agatha Christie. On pourrait croire que c’est la célèbre
flemme du dimanche qui nous pousse à jeter notre dévolu sur eux, car ils ne
demandent pas trop d’efforts pour être lus, ils sont un peu comme les pâtes de
la littérature, tout le monde les aime, quelque soit la garniture. Avec Patrick
Modiano, c’est autre chose. Pourtant lui aussi est définitivement un écrivain<i style="mso-bidi-font-style: normal;"> du dimanche</i>. Quelque soit le titre que
l’on choisit, on monte dans un train en marche, une ligne régulière que l’on
fréquente depuis toujours : Paris, les années 1960, une certaine topographie
poétique, des personnages si fragiles qu’un souffle suffirait à les faire
disparaître. Les romans de Modiano se lisent d’une traite. D’une seule plongée
en apnée nous nous retrouvons dans une monde calme, assourdi, où le hasard
conduit les âmes comme les poissons un courant entre deux eaux, où le temps ne
s’écoule pas de la même façon qu’en surface. Le dimanche, délestés des contraintes
du monde, un peu hagards devant tout ce vide, nous sommes le mieux à même de
respirer dans ce monde sous-marin. Il y a tout de même un peu de complaisance
de notre part à nous émouvoir si voluptueusement de cette atmosphère nostalgique.
Nous voudrions presque nous aussi, comme un personnage de Modiano, débrancher
le téléphone, faire notre valise et monter dans un taxi pour n’importe quelle
porte de Paris. Puis le roman est terminé. Nous allumons le plafonnier de la
cuisine et nous préparons le dîner. Il n’y a que dans les romans de Patrick Modiano
que les lundis n’existent pas.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Décembre 2012</span></div>
<!--EndFragment-->
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-67466969447369439122012-11-07T10:06:00.000+01:002012-11-07T10:06:53.157+01:00Prague<!--StartFragment-->
<br />
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Il
y a des noms de lieux qui sonnent comme des mots magiques, qui portent en eux
une charge de rêve inextinguible : Thurgovie, Carélie, Bohème-Moravie,
Engadine. Longtemps je me dirai : j’ai traversé la Bohème en auto à
l’automne de cette année-là pour me rendre à Prague. Prague aussi est un nom
qui fait rêver, il évoque la double monarchie austro-hongroise et son aigle à
deux têtes, un mélange unique de langues et de cultures, et une certaine Europe
d’avant la Première Guerre. Le quartier baroque de Mála Strana, une fois
balayées les scories sales et grises du régime communiste, a retrouvé ses
couleurs pastel si germaniques : bleu ciel, vert d’eau, mauve, jaune. Des
centaines de touristes emmaillotés dans leurs manteaux se pressent dans la cathédrale
Saint-Guy battue par la tempête de neige, et sous la nef les langues se mêlent
à nouveau dans un joyeux brouhaha. La langue tchèque étonne autant l’œil que
l’oreille. On se pose mille questions sur tous ces accents et ces petites
couronnes inconnus chez nous. Ni latin ni allemand ne servent de rien, on ne
comprend rien, on est <i style="mso-bidi-font-style: normal;">ailleurs</i>. Des
femmes en fourrures brillantes se promènent devant des vitrines luxueuses, et
on ne sait plus si on est à Berlin, Milan ou Saint-Pétersbourg. Mais une chose
est certaine : on est dans une capitale européenne. Tout, autour de nous,
le rappelle sans cesse : la longue place Venceslas, l’imposant bâtiment du
<i style="mso-bidi-font-style: normal;">Národní muzeum</i>, les ponts sur la Vltava,
les cafés, les trams. On se recueille dans le vieux cimetière juif. On admire les
synagogues néomauresques et Art nouveau construites à l’époque de l’émancipation
de la communauté juive de Prague. On relit avec gravité l’histoire de cette communauté
qui n’a retrouvé la totalité de ses droits politiques et culturels qu’après la
chute du régime communiste.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Et
on prend conscience, dans ce cœur de la <i style="mso-bidi-font-style: normal;">Mitteleuropa</i>,
qu’on ne mesurera jamais assez la signification symbolique du suicide de S.
Zweig en 1942.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Novembre 2012</span></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<br /></div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgJFNzWzaOKL1KGS27txoBC40TYR5bEcQxqCClvkcTpRE1JwTjPmGt77UeC-_nRLoJHr1AjWmvC-nJC2bZT7XZyCs6ZkOa73-5S4UP2AaVL7s8pFrxAOwgUK_291EFU5sNYsBINcuLjDFc/s1600/DSC01238.JPG" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="240" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgJFNzWzaOKL1KGS27txoBC40TYR5bEcQxqCClvkcTpRE1JwTjPmGt77UeC-_nRLoJHr1AjWmvC-nJC2bZT7XZyCs6ZkOa73-5S4UP2AaVL7s8pFrxAOwgUK_291EFU5sNYsBINcuLjDFc/s320/DSC01238.JPG" width="320" /></a></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<!--EndFragment-->
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-40085816783356436262012-10-05T17:06:00.001+02:002012-10-05T17:06:11.850+02:00La barrière<!--StartFragment-->
<br />
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Les heures s’étaient écoulées interminablement.
Toute la nuit il était resté couché, enroulé dans la terre, sous le couvert
d’une grande fougère. Il avait été tenu éveillé par les pas qu’il avait entendu
résonner indistinctement, par les cris et les aboiements. Il était épuisé par
l’attente et la tension. Mais le miracle avait eu lieu : on ne l’avait pas
découvert.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><span style="mso-tab-count: 1;"> </span>Le son qu’il guettait depuis qu’il se tenait
caché se devina enfin. Les rails sur le talus vibraient et sifflaient
doucement. Puis, dans un fracas assourdissant, le train s’arrêta en gare du
Saut du Cerf. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><span style="mso-tab-count: 1;"> </span>Le soleil n’était pas encore entièrement levé
et le ciel était gris et bas. Il entendit à nouveau les chiens aboyer. Il se
dit qu’on était sans doute en train de fouiller le train avant son départ. Il
s’imposa de rester dans sa tanière. Il entendait des personnes s’agiter autour
des wagons, des voix indistinctes qui allaient et venaient, le bruit des
chaînes des molosses. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><span style="mso-tab-count: 1;"> </span>Après un sifflement aigu, le train commença à
se déplacer très lentement. C’était le bon moment pour lui. Il sauta du fourré
comme un écureuil, s’accrocha aux parois de bois du wagon et escalada jusqu’au
toit. Il se coucha, retint sa respiration et tendit l’oreille. Il semblait ne
pas avoir été vu.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"></span><span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Le train prit peu à peu de la vitesse. Il
sentait la brise fouetter son visage. Il pouvait tout juste garder les yeux
ouverts et se sentait écrasé par la fatigue. Il accrocha sa ceinture à
l’armature métallique et s’endormit immédiatement ensuite. </span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"></span><span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Lorsqu’il se réveilla, le train roulait
toujours. Il avait des courbatures par tout le corps, et terriblement soif. Les
cahots étaient désagréables et son corps avait besoin de silence. La hauteur du
soleil dans le ciel indiquait que l’après-midi était déjà avancée. Il avait
donc dormi plusieurs heures. Mais, s’il avait déjà effectué une grande
distance, le train était toujours dans la forêt.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"></span><span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">L’attente fut longue encore avant que le
train ne s’arrêtât. Il se détacha et attendit le dernier moment pour sauter du
toit du wagon dans un bosquet de noisetier. Il attendit que le train se fût
totalement éloigné, puis sortit inspecter les lieux. Il n’y avait rien en vue.
Il épousseta ses vêtements, regarda ses genoux écorchés et sortit sa boussole
de sa poche. Il se glissa à travers les fourrés et s’engagea dans la forêt.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"></span><span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Après s’être fait un passage à travers
des buissons piquants, enjambé des troncs couchés, écarté des branches de son
visage, il trouva enfin ce qu’il souhaitait avec tant d’impatience. Un torrent
coulait dans un fossé de terre sur des pierres plates et blanches. Il se jeta
immédiatement à plat ventre et but goulûment en glissant toute sa tête dans
l’eau froide.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"></span><span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Lorsque sa soif fut totalement apaisée,
il se releva pour chercher un trou d’eau suffisamment profond pour s’y baigner.
Il le trouva quelques pas plus loin. Il se déshabilla entièrement et se glissa
frileusement dans l’eau glacée. Il nettoya consciencieusement ses écorchures,
puis s’accroupit et s’aspergea énergiquement. Des filets d’eau froide lui
coulait sur les flancs, il avait la chair de poule mais il se sentait mieux
d’être propre.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"></span><span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Pendant qu’il s’égouttait, il épousseta
ses vêtements et retira les brindilles et les feuilles qui s’étaient accrochées
à ses chaussettes. Il se rhabilla et se remit en route.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"></span><span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Maintenant que sa soif était étanchée,
son ventre gargouillait terriblement. Parti sur un coup de tête, il n’avait
rien préparé de son départ. C’était encore une chance qu’il eût sa boussole
avec lui. Il vit un autre bosquet de noisetiers et eut cette fois la présence
d’esprit de remplir ses poches de noisettes. En attendant mieux, cela calmerait
sa faim.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: center;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">*</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"></span><span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Il y avait plusieurs heures qu’il
marchait ainsi lorsque la forêt cessa brusquement et qu’il vint buter contre
une clôture. C’était déjà le soir, et il commençait à faire sombre. Il put se
mettre un moment à découvert et avoir une idée générale du terrain. De l’autre
côté du pré il y avait une vallée au fond plutôt plat et qui était cultivé. On
voyait encore des restes de chaume sur le sol noir. Des bouquets d’arbres
avaient poussé le long des méandres du ruisseau. Une belle grange en bois,
trapue, sombre, était accolée au talus.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"></span><span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Il choisit l’itinéraire qui lui
permettait de rester le plus souvent à couvert d’un buisson ou d’un arbre. En
quelques bonds, il fut près de la porte qui n’était pas fermée. Il entra. Il y
avait des bottes de foin, des sacs de grain, des outils des champs et de
menuiserie. C’était une bonne cachette. Et pourtant, si on l’avait suivi sans
qu’il s’en rendît compte, on le trouverait très rapidement, puisque c’était le
seul bâti dans les environs. La fatigue choisit pour lui, il s’allongea dans le
foin et grignota des noisettes.</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';"></span><span class="Apple-style-span" style="font-family: 'Times New Roman';">Plus tard dans la soirée, il entendit des
pas qui s’approchaient. Puis des cris et des sifflets. Il comprit que deux
bergers rassemblaient un troupeau de vaches afin de les changer de pâture. En
attendant que le bétail vint jusqu’à eux, les deux hommes se tenaient tout près
de la paroi et il pouvait entendre leur conversation :</span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
Il paraît qu’il y en a encore un qui s’est évadé, dit une voix juvénile.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
Lui non plus ne va pas courir bien loin, répondit une voix grave et sévère.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
Non. C’est vrai. Ils les retrouvent toujours assez vite.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><span style="mso-tab-count: 1;"> </span>Après un silence, la voix la plus jeune
reprit :<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
A ce qu’on raconte, celui-là est déjà allé beaucoup plus loin que les autres.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
Comment le sais-tu ? demanda le vieux de sa voix grondante.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
J’ai vu des patrouilles en ville. Ils fouillent les hôtels, les caves, les
greniers, tous les endroits où il pourrait se cacher.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
Il serait déjà en ville, alors ? <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
En tout cas, eux le pensent.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
S’il a réussi à venir jusque là, c’est qu’il est plus malin que les autres. A
mon avis, il n’y est déjà plus, ce serait trop risqué pour lui.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
Peut-être attend-il un train ?<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
Tu n’en sais rien. Et ça ne te regarde pas. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><span style="mso-tab-count: 1;"> </span>Après un autre court silence, la voix jeune
ajouta comme pour elle-même :<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
Moi, je les comprends.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
Qui donc ? demanda la voix vieille rudement.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
Ceux qui s’évadent…<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">-
Tais-toi donc, imbécile. Et ne répète jamais ça devant moi.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><span style="mso-tab-count: 1;"> </span>Ensuite, il n’entendit plus rien. Le bruit des
cloches avait disparu. Il faisait maintenant complètement noir dans la grange.<span style="mso-tab-count: 1;"> </span><o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><span style="mso-tab-count: 1;"> </span>Il passa la plus grande partie de la nuit à
réfléchir à ce qui était la meilleure décision à prendre pour lui, maintenant
qu’il avait ces nouveaux renseignements. Il était toujours possible que ce fût
simplement un piège. Mais cela lui paraissait assez improbable. Il avait
presque épuisé sa réserve d’eau. Il ne voulait pas retourner dans la forêt,
mais il devait se résoudre à ce qu’on le retrouvât s’il restait jusqu’au matin
dans la grange. Pourtant, le plus raisonnable était bien de contourner la
ville, et d’attraper plus tard un train qui l’emporterait loin d’ici. Sa
décision était donc prise.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><span style="mso-tab-count: 1;"> </span>Il se releva et s’approcha silencieusement de
la grande porte. Il tendit l’oreille, la déverrouilla et l’entrouvrit. Le
silence était total. La nuit était lumineuse, un beau croissant de lune
diffusait une lumière pâle sur la vallée. Il se glissa à l’extérieur et
colla son dos à la paroi en bois.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><span style="mso-tab-count: 1;"> </span>Quelqu’un frôla son épaule. Il sursauta et
tourna vivement la tête. Il vit un jeune garçon dont les fins cheveux blonds
lui tombaient sur les yeux. Il avait le visage grave et le regardait fixement.
Il esquissa un demi-sourire puis posa l’index sur ses lèvres et lui fit signe
de le suivre. Il souleva la toile épaisse qui couvrait le chargement d’une
charrette, et lui fit une place au milieu des sacs de blés. <o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><span style="mso-tab-count: 1;"> </span>Il serra la main du jeune garçon après l’avoir
attentivement regardé, puis il se cacha. La charrette se mit immédiatement en
route.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: center;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><o:p>*</o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><o:p><br /></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><span style="mso-tab-count: 1;"> </span>Il étouffait sous sa bâche. Les cahots des
roues pleines sur les pierres lui moulinaient le dos. La nuit fut très longue
et sans repos. Il remarqua qu’il faisait un peu moins sombre, puis il entendit des
bruits qui lui firent penser qu’il était à la barrière d’une ville. Il commença
à avoir peur, mais resta parfaitement immobile. Des soldats jappèrent et
frappèrent du pied. Il entendit le sifflement des lames qui traversaient les
sacs de grain. Il comprit que les gardes sondaient le chargement avec la lame
de leurs baïonnettes.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><span style="mso-tab-count: 1;"> </span>Le métal coupant entra dans son flanc et le
perfora de part en part.<o:p></o:p></span></div>
<!--EndFragment-->
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-91288837327565993442012-10-03T14:27:00.001+02:002012-10-03T14:27:20.596+02:00NouveautésChers lecteurs,<br />
<br />
J'ai fait ces derniers temps quelques modifications sur ce blog :<br />
- J'ai ajouté une préface ;<br />
- J'ai ajouté une table des matières ;<br />
- J'ai mis à jour ma bibliographie.<br />
<br />
En espérant que ces nouveautés vous agréent,<br />
<br />
NDNDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.comtag:blogger.com,1999:blog-8130734610854695689.post-7810079799536117762012-09-26T10:24:00.000+02:002012-09-26T10:24:00.527+02:00L'aire de jeu<!--StartFragment-->
<br />
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">L’automne
s’immisce dans la belle forêt domestiquée. Les arbres sont mouchetés de taches
jaunes. Les noisettes et les jolis marrons lisses sont déjà tombés. La lumière
est douce, elle appelle les flambées d’hiver et les gros pull-over en laine.
Les daims et les chèvres se cachent, il n’y a derrière les grillages que la
terre humide et noire, et les buissons dépouillés. Des poussettes, des jouets,
des couvertures et des vêtements multicolores sont disséminés sur la pelouse
d’un vert épais. De petits enfants jouent dans les bacs à sable, d’autres se
balancent jusqu’aux nuages. Les parents, qui les surveillent du coin de l’œil,
sont assis autour des tables de pique-nique et discutent sagement. Les tipis de
rondins font remonter du néant des souvenirs lointains. L’odeur acide du
bois noirci par les hivers. Le sol de la cabane usé par les souliers et couvert
de sable. S’y inventer des histoires extraordinaires.<o:p></o:p></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";"><br /></span></div>
<div class="MsoNormal" style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "Times New Roman";">Septembre 2012</span></div>
<!--EndFragment-->
NDhttp://www.blogger.com/profile/08992584389762860928noreply@blogger.com