Quelques
marches conduisent à une plate-forme de chargement carrelée. Nous entrons par
une simple porte, celle-là même par laquelle sont entrés autrefois tant de
travailleurs. L’ancienne laiterie a gardé sa vielle blouse hygiénique, mais
elle est bien usée. La peinture s’écaille. La tuyauterie rouille. De nombreux
équipements l’ont déjà quittée et la laissent dépouillée et miséreuse.
Nous
montons encore un étage. De grandes cuves en aluminium sont entreposées dans
une pièce creusée en son centre. Quatre d’entre elles sont plus hautes que
larges et se répartissent symétriquement. Une ouverture ronde permettait d’y
verser le lait. Nous nous approchons, nous nous mettons sur la pointe des pieds
et nous regardons à l’intérieur ce qui est d’abord tout à fait sombre. Lorsque
nos yeux se sont habitués à l’obscurité de cette caverne, nous découvrons
alors, assis sur une chaise, un violoncelliste et son instrument. L’archet va
et vient, les cordes sont pincées et frottées, elles vibrent. De la cuve
s’échappe la musique d’un grillon emprisonné dans un verre. Nous continuons notre
chemin. Dans la cuve suivante un jeune homme récite de la poésie – en français.
Dans la troisième un vieux monsieur fabrique des sons grâce à une tablette
électronique.
Il
ne reste alors plus que la grande citerne, qui, celle-ci, est couchée.
L’ouverture, près du sol, laisse à peine la place de s’y introduire jusqu’à la
taille. Une jeune femme s’y tient accroupie, près de l’orifice. Elle nous
chuchote quelques mots à l’oreille et nous confie un projecteur. Nous dirigeons
la lumière sur les parois lisses et brillantes de la cuve. Elle étudie d’abord
le mouvement que nous donnons au faisceau, puis improvise à mesure une danse
qui se heurte à l’espace clos que nous partageons avec elle. Elle danse, pour
nous seuls, selon notre rythme et notre fantaisie. Elle lutte contre la
rotondité, elle glisse, elle bondit, elle prend son élan et se brise sur le
métal. Une abeille prise dans un broc d’orangeade. Elle se relève, elle reprend
sa position initiale et se recroqueville sur elle-même. La danse est terminée.
Nous
nous extrayons alors, troublés, nous jetons un regard étonné à l’homme-horloge
impassible, assis à califourchon au sommet de la citerne, et nous dirigeons
vers l’atelier où la suite de l’aventure nous attend.