mardi 13 mars 2012

Un grillon dans un verre


Quelques marches conduisent à une plate-forme de chargement carrelée. Nous entrons par une simple porte, celle-là même par laquelle sont entrés autrefois tant de travailleurs. L’ancienne laiterie a gardé sa vielle blouse hygiénique, mais elle est bien usée. La peinture s’écaille. La tuyauterie rouille. De nombreux équipements l’ont déjà quittée et la laissent dépouillée et miséreuse.

Nous montons encore un étage. De grandes cuves en aluminium sont entreposées dans une pièce creusée en son centre. Quatre d’entre elles sont plus hautes que larges et se répartissent symétriquement. Une ouverture ronde permettait d’y verser le lait. Nous nous approchons, nous nous mettons sur la pointe des pieds et nous regardons à l’intérieur ce qui est d’abord tout à fait sombre. Lorsque nos yeux se sont habitués à l’obscurité de cette caverne, nous découvrons alors, assis sur une chaise, un violoncelliste et son instrument. L’archet va et vient, les cordes sont pincées et frottées, elles vibrent. De la cuve s’échappe la musique d’un grillon emprisonné dans un verre. Nous continuons notre chemin. Dans la cuve suivante un jeune homme récite de la poésie – en français. Dans la troisième un vieux monsieur fabrique des sons grâce à une tablette électronique.

Il ne reste alors plus que la grande citerne, qui, celle-ci, est couchée. L’ouverture, près du sol, laisse à peine la place de s’y introduire jusqu’à la taille. Une jeune femme s’y tient accroupie, près de l’orifice. Elle nous chuchote quelques mots à l’oreille et nous confie un projecteur. Nous dirigeons la lumière sur les parois lisses et brillantes de la cuve. Elle étudie d’abord le mouvement que nous donnons au faisceau, puis improvise à mesure une danse qui se heurte à l’espace clos que nous partageons avec elle. Elle danse, pour nous seuls, selon notre rythme et notre fantaisie. Elle lutte contre la rotondité, elle glisse, elle bondit, elle prend son élan et se brise sur le métal. Une abeille prise dans un broc d’orangeade. Elle se relève, elle reprend sa position initiale et se recroqueville sur elle-même. La danse est terminée.

Nous nous extrayons alors, troublés, nous jetons un regard étonné à l’homme-horloge impassible, assis à califourchon au sommet de la citerne, et nous dirigeons vers l’atelier où la suite de l’aventure nous attend.

Installations de Dieter Löchle dans son atelier (Tübingen)
Mars 2012