mardi 29 mai 2012

De Côme à Saint-Moritz

La route qui conduit à Saint-Moritz longe le lac de Côme sur toute sa rive occidentale. Elle ne s’éloigne jamais des eaux calmes qui remplissent la profonde vallée et ne laissent qu’une étroite bande plane entre le rivage et les flancs abrupts et boisés des montagnes. C’est cet espace que se partagent les grandes villas, les jardins flamboyants, les villages et les petits ports. La route doit parfois y forcer son passage et dans ce cas deux autos ne peuvent se croiser. Des scènes méridionales se suivent de kilomètre en kilomètre, des pêcheurs sont immobiles dans leur barque, sur les terrasses on boit un café en attendant son bateau. Les maisons accrochées sur les hauteurs nous regardent cheminer lentement.

Dès que l’on s’écarte de la pointe nord du lac de Côme, on quitte rapidement le sud pour entrer dans le domaine de la montagne. La route qui remonte le val Bregaglia longe le torrent bordé de bois de châtaigniers. Les Romains empruntaient déjà cette route. Peu à peu les reliefs sont plus élevés et les pointes plus aigues. La dernière partie du val prend la forme d’un très haut mur qu’il s’agit de franchir. Les lacets s’enchaînent, deviennent de plus en plus serrés, de plus en plus raides ; assez vite, chaque épingle nous conduit au-dessus du vide. Alors qu’on est presque arrivé, un feu nous arrête dans notre élan. On coupe les gaz. On ne veut pas regarder le précipice, mais on ne peut pas ignorer les autos qui occupent plusieurs niveaux au-dessus de nous. Le feu repasse enfin au vert. On reprend lentement l’ascension jusqu’au col de Maloja (1815m). Là, un restaurant fermé et un parking presque vide nous attendent au pied des éboulis. Ça et là, il y a de grandes plaques de neige compactée. Un vent froid qui vient des sommets souffle fort. On contemple un long moment le val, avec ce plaisir particulier que procurent les hauts cols : la sensation triple d’être au bout du monde, sur le toit du monde et sur une frontière.

On remonte en voiture, et après quelques derniers virages, la vallée de la Haute-Engadine se projette devant nous. C’est une vallée d’altitude, au fond étonnamment plat occupé par des prairies, des lacs, des bois et quelques villages. Elle est encadrée par des montagnes grises, sévères, aux nombreux éboulis qui forment des triangles très nets. Quelques conifères s’accrochent à leur pied. On contourne le lac de Sils avant de s’arrêter. Il fait frais, et le vent puissant pousse rapidement de gros nuages très gris, qui est décidément la couleur dominante dans ce paysage minéral.
Les maisons des villages jumeaux de Sils-Maria et Sils-Baselgia sont blanches, trapues. Leurs fenêtres sont petites et encaissées dans des murailles épaisses. Les toits de pierre sont gris. En cette saison, ce sont deux villages abandonnés, les touristes ont déserté : il n’y a plus de neige pour skier, il ne fait pas encore assez beau pour randonner. La maison de Nietzsche est fermée. Le sentier qui conduit à son rocher est encore impraticable. L’atmosphère qu’Annemarie Schwarzenbach a connu n’est plus, il n’y a plus d’habitants fixes ici.

On continue vers Silvaplana par la route où elle s’est tuée à vélo un jour de 1942.

Mai 2012